#hors-série | disparition

Tu as écrit tu as pas écrit tu fais quoi tu fais rien tu attends tu attends quoi rien juste là comme ça attendre que ça vienne ça vienne quoi tu fais du vide à l’intérieur tu sais même plus si tu as un intérieur tu parles juste pas si juste que ça ça parle tu cherches à être juste juste au diapason du vide au diapason du rien à l’écoute du rien tu le sang qui coule goutte à goutte dans tes veines dans ton cœur tu fais plus tu écris plus tu attends fatigué tu voudrais disparaître tu voudrais que ça se termine tu parles pour personne tu parles dans le vide tu fais l’acrobate dans le silence avec personne pour te voir les mots viennent ou pas c’est pareil tes yeux fixés sur le rien de l’existence mort avant d’être mort Ce qui s’est passé ? Ça reste incrusté mais on n’en retient rien d’autre que cette cicatrice dans la mémoire, un boursouflement sur lequel on passe et repasse le regard, le doigt ou la langue, pour rien, juste pour vérifier que c’est bien là, une trace, un signe détaché de ce qu’il représente, une preuve du temps sans image. Seul maintenant, séparé maintenant, privé de l’autre qu’on a été, privé des autres qui se sont absentés. On n’aperçoit qu’un bout de ciel à travers les feuillages trop denses. C’est les nuits de pleine lune que la clarté déchire l’obscurité et apporte comme des fulgurances de vision Qu’ont-ils donc tous ceux-là à raconter leur histoire. Des gens heureux pourtant comme dit l’expression, des gens sans histoire, des qui voudraient remplir les vides qu’ont laissés les silences des autres, des qui croient qu’on ne peut être en paix qu’une fois le dernier mot de la dernière phrase écrit et pour finir ne parviennent qu’à inventer ce qu’ils auraient du ignorer, ce qu’on n’a jamais voulu leur dire. C’est de soi-même qu’il faudrait se débarrasser, tirer un trait sur une existence inaboutie ou plutôt jamais vraiment commencée, une existence qui n’aurait jamais dû être. Une existence qui pèse le soir quand l’angoisse est toujours là et réclame son tribut de tremblements intérieurs et de doutes. C’est l’oubli qui serait un vrai remède et pas cette recherche épuisante du commencement qui n’a lieu que dans le désarroi de l’écriture. J’ai toujours voulu fuir, échapper à ce réel sans relief qui m’entourait, m’engloutissait dans les tracas banals d’un quotidien fait de petits tourments. J’aurais voulu n’avoir jamais connu les grignotages de la misère, pas le manque d’argent prévisible qui déclenchait les inévitables colères du père contre la mère toujours coupable de n’avoir pas su « faire avec » ; non plutôt échapper à la misère affective qui me laissait seul, toujours tendu dans l’attente d’un regard qui m’aurait donner un peu de consistance. Echapper à la misère de la jalousie qui quémande et n’obtient jamais, se fait des chimères de préférences, la misère dont délivre un seul regard vrai. Au lieu de cela il a fallu grandir sous le regard fantasmé de figures rencontrées au détour des lectures ; fuir voulait dire trouver le chemin vers ces mondes qui ne tenaient leur solidité que des lois secrètes qui président à l’harmonie des mots. Mais où trouver sa place dans ce tissu de paroles gelées, dans cette forêt muette de chemins syntaxiques qui ne prenaient consistance que dans l’arrière fond de ma tête, là où résonnent les vibrations sonores jamais sorties d’aucune bouche ? Car la présence constante des autres condamnait au silence sous peine de s’entendre rappeler à l’ordre. S’enfoncer toujours plus loin dans le désir de disparition. Ne plus être autre chose qu’une harmonie de sonorités libérées de leur source. Bâtir en soi un monde inaccessible aux autres, peut être même interdit. Être sans exister. Etre à l’infinitif sans personne sans menace d’engloutissement dans le temps.

A propos de Christian Chastan

"- En quoi consiste ta justification ? - Je n'en ai aucune. - Et tu parviens à vivre ? - Précisément pour cette raison, car je ne parviendrais pas à vivre avec une justification. Comment pourrais-je justifier la multitude de mes actes et des circonstances de mon existence ?" F.K.

4 commentaires à propos de “#hors-série | disparition”

  1. bien sûr qu’on pense tout de suite à Kafka en lisant, et à Pessoa aussi. Je suis profondément en résonance avec ce texte, comme c’est vrai, ce qui est dit là. en évitant le plus possible le « je » et à l’extrême pointe de l’intime pourtant. justement.

  2. Merci pour cette lecture. Longtemps hésité à le publier. Top intime jstement. Tenté l’absence totale du je. Pas réussi.

  3. Tu as trouvé une forme très appropriée, je trouve. Et aussi ce texte se laisse lire à haute voix de façon très convaincante. Beaucoup apprécié.

    • Merci beaucoup de ta lecture. C’est d’une panne d’écriture qu’il s’agit. Une sorte d’impossibilité d’aller plus loin. Tant mieux si c’est lisible.