## le double voyage # 02 Arrivées et Départs simultané.e.s

« Si vous pouvez sentir la rue en regardant la photo, c’est une photo de rue. »

Bruce Gilden (Photographe controversé)

Ligne de partage des villes
La Nature a horreur du vide
Un passage clouté plus au nord

C’est une avenue de moins d’un kilomètre qui sépare les deux villes. Elles se retrouvent ici « nez à nez »…

Côté pair Vénissieux, côté impair Lyon huitième. Plus le temps passe et plus la jonction se fait indiscernable. Sans les panneaux on en saurait rien. C’est en la traversant plusieurs fois par semaine qu’on rentre et qu’on sort de l’une ou l’autre ville presque sans y penser. C’est une zone de transit où s’attarder n’est pas plaisant. Trop de bagnoles et de feux tricolores. Des populations de condition modeste, interchangeables, s’ y égrennent aux arrêts de bus ou de tramway. Aucun bar convivial digne de ce nom. Un point de vente de journaux avec ses ombres dos courbé d’addiction à la Française des Jeux …Le Bar PMU est plus loin plus maghrébin aussi, peu de femmes s’y aventurent… Les femmes voilées sont nombreuses. La ligne de métro qui mène de Vénissieux au centre ville a été obtenue de haute lutte, mais elle a été refoulée le long de la séparation avec Bron autre ville accolée côté est. La Station Parilly sert de point de ralliement à quelques tours de roue de la Gare de Vénissieux, l’une des dernières nées du désenclavement périurbain. L’avenue qui ne paie pas de mine a suturé définitivement la fracture géo-démographique entre deux municipalités d’opposition et n’a pas réussi fort heureusement à nourrir le fantasme d’invasion barbare attendue de la part des  » sauvageons » des Minguettes. Même les dealers se font discrets dans cette zone où les immeubles sont encore espacés. Mais les vieilles maisons sont peu à peu éliminées et surgissent de nouveaux bâtiments aux normes thermiques dans des programmes d’investisseurs et de logements sociaux. L’Avenue s’est vue dotée de deux grands mastodontes de la distribution IKEA et CASTORAMA….Le grand champ de maîs côtoyé pendant plus de quarante ans n’existe plus.

Attendre le Bus avec Freud Route de Vienne

L’Avenue rêvée comme un retour olfactif à une vie antérieure

L’odeur pétrochimique à 4h30 du matin sur ton solex noir

Eté comme hiver rejoindre les odeurs de la pâte humaine

Apprendre à soigner ce qui ne guérit guère le mal de l’esprit

Rester dans la fosse aux silences angoissants peuplés de cris

Huit heures durant garder le coeur ouvert et les gestes prudents

Les scènes reviennent en songe elles sont toutes bouleversantes

Hôpital de Maristes légué pour un franc symbolique à des tiers

Des histoires de vie englouties sans mémoire des noms perdus

Un film en sortirait si on voulait prendre la peine de raconter

Mais on oublie ce qui dérange et même Freud parait figé

Route de Vienne faut-il qu’il t’en souvienne tu avais vingt ans.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

5 commentaires à propos de “## le double voyage # 02 Arrivées et Départs simultané.e.s”

  1. J’aime beaucoup ce texte, en quelques lignes tout est là géographie, sociologie, politique, économie, évocation très « réelle » de cette frontière progressive (je la connais et la retrouve ici) et belle écriture.

  2. une avenue rêvée qui revient par l’odeur pétrochimique des petits matins , oui c’est possible (vrai?) cependant juste après, le mot solex crée une confusion intéressante, l’odeur du moteur de solex ou celle du couloir de la chimie, mon cœur ne balance pas, vive le solex !

    • Et si tu y rajoutes les nausées d’une première grossesse, tu as le tableau complet ! La ville a tout changé dans ma perception et mes sensations, ce n’est que rétrospectivement que j’en mesure l’impact. Merci pour ton message.

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