Encore un retour

Debout devant la fenêtre elle regarde la rue la rue toute droite qui s’arrête d’un coup s’étrangle est fermée par une grosse tour en béton un bunker elle l’a toujours vu là gris massif il fait partie du paysage ne signifie plus rien elle n’y pense même pas il ferme juste la rue la rue pas longue pas grande pas de commerces mais de jolies maisons d’un joli quartier qu’elle a toujours connues longées frôlées sonnant parfois aux portes en cachette avec les petits cousins délurés courant ensuite à perdre haleine pas vu pas pris debout devant la fenêtre étroite à deux montants et deux vitres deux pênes deux poignées grinçant couinant raclant les cadres il faudrait les reprendre huiler vernir mais c’est fini la fenêtre ne lui appartient plus c’est la dernière fois qu’elle regarde par la fenêtre latérale de cet Erker en saillie sur la rue lieu stratégique pour voir observer surveiller fenêtre haute étroite largeur d’épaule de femme d’épaule de mère qui s’y tenait pour regarder les enfants partir silhouette de mère faisant des signes de la main elle se retournait toujours pour regarder répondre à la mère avec sa main son bras en sautillant en dansant plus tard plus calme sérieuse furtive mais elle n’oublie jamais le signe de la main la mère….

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Fenêtre, regard, transparence, transmission. Vue, immersion, évasion, rêverie, rêve et voyage, visions, envolées, panoramas. Solitude d’un côté ou de l’autre. A partir de la fenêtre, aller à la recherche des êtres d’un côté ou de l’autre de la vitre, écrire des récits de vues et de vies.
2
La rue. La rue toute droite, qui semble s’arrêter au bout, au Bunker. Les rues, les parcs, les maisons, les passants, les voitures. Le quartier. Les commerces, disparues. Le va-et-vient devant cet immeuble cossu de cinq étages, un air de 19e, des rangées de fenêtres, des escaliers, un grand portail fermé autrefois par une grande clef, ça rentre et ça sort, le travail, les courses, l’école, les visites. Les employés du bureau au rez- de- chaussée soufflent à la pause, le tout petit théâtre du sous-sol prépare la représentation qui restera confidentielle, la concierge passe la serpillière, attention, ça glisse, tu passes sur la pointe des pieds pour ne pas salir, on respecte le travail, elle est propre, la maison, les couloirs bien tenus, les bois astiqués, cirés, ça sent bon dans les escaliers de la vieille maison. Ce serait l’histoire d’une maison qui vit, qui abrite, qui observe…
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Le regard de la mère, fidèle, enveloppant, contraignant aussi. Pilier de la famille, gardienne de la famille, en vérité créatrice de la famille. C’est son projet personnel depuis toujours, elle maîtrise la situation avec amour, elle façonne, éduque, aime, châtie, aime encore, rassemble, prépare le nid pour sa nichée. Ne les voit pas grandir en dehors de ce nid, de ce cercle. Tout est préparé avec amour, les rails sont posés, il n’y a qu’à suivre. Le même chemin de préférence. Il y en a qui y arrivent, qui savent faire. Ou qui trouve leur voie dans ce projet. Il y en a qui malgré l’amour, ou avec cet amour, partent pour faire une autre vie, découvrir des horizons différents, les alternatives, ça existe, non ?
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Le regard de la mère, le signe de la main de la mère, du père aussi, des frères, sœurs, bientôt des petits enfants, un rite, une tradition, ce n’est plus une obligation, c’est un réflexe. Un geste qui se transmet, bonjour au revoir, à tout de suite à bientôt, à Noël, à l’année prochaine, tu te retournes, la silhouette à la fenêtre, oui, elle est là, tu fais signe, c’est gai, plein de joie, ou juste un petit coucou en traînant les pieds, ou chagrin quand tu pars pour longtemps, triste et content, content et triste, c’est collectif quand toute la marmaille s’en va ou individuel quand tu pars seule dans la nature, mais elle est là et tu le sais, et tu fais ce qu’il faut pour lui faire plaisir, pour te rassurer, oui, elle est toujours là, encore là, un jour, elle n’y sera plus et tu seras un peu plus seule dans la vie, et tu oublies les contraintes et tu penses à l’amour que tu as reçu et tes petits à leur tour te font signe, réflexe familial, geste librement consenti, ressenti avec amour ou avec nonchalance bienveillante, un ciment, un lien, un souvenir très vivant

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “Encore un retour”

  1. D’un côté le bunker qui ferme la rue, et de l’autre, la mère qui d’un geste de la main dit au-revoir, encourage au départ.

    • Merci Chantal, pour votre mot, c’est bien toujours cette dualité dans la vie, ce choix des voies possibles…