#enfances #00 | dans la salle des pas perdus

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Perdue. C’est dans le ventre que ça se passe. Qu’elle comprend. Ça se resserre ça tord. Autour d’elle la foule. Elle ne la voit plus. Sa mère. Avalée. Disparue. Ça gagne la gorge. En boule, le sanglot tout au bord. Tout se brouille. Alors elle respire comme sa mère lui a appris le soir quand le sommeil ne vient pas. Trois fois. Profondément. Pour chasser la boule. Alors seulement, elle regarde, vraiment, scrute, tourne sur elle-même. La foule qui marche dans tous les sens. Inconnue. Et elle dedans les gens les voix les bruits perdue dédale de visages jambes mains pas fragments de corps et dans tout ça, imperturbable, la voix qui annonce les arrivées et les départs. La boule. Elle ferme les yeux. Pour se concentrer. Mais elle n’arrive plus à réfléchir. Elle fait quelques pas mais ses jambes ne la portent plus ou presque dans le vertige de la cohue des gens pressés. On la bouscule et c’est comme si elle avait décroché. Du temps et de l’espace de ces gens qui passent et semblent ne plus la voir. Dans le champ de son regard brouillé de larmes, des bouts de vie ordinaire dont elle se sent comme séparée : le rire bruyant d’une femme, et le rouge de ses lèvres, un petit garçon qui hurle dans les bras de sa mère, le pan d’un manteau vert qui lui frôle la joue et un homme dedans qui court, une valise rouge et le bruit de ses roulettes, et puis la sensation du ventre qui se tord à nouveau plus fort que tout et elle ne voit plus rien. Paralysée de panique silencieuse.

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Où est-elle ? Comment est-ce possible ? Elle devait l’attendre là. Sur ce banc. Elle n’y est plus. Elle panique. Aussitôt. Elle imagine le pire. Tente de se raisonner. Et panique. Elle lui a appris à trouver le bon quai. Les affichages. Le billet. Les annonces. Elle est peut-être au bout du quai. Ou aux toilettes. Elle lui a appris à s’orienter. Elle va revenir. Elle ne devait pas s’éloigner. Elle n’aurait pas dû. Et tout ce monde qui ne voit pas. Qui ne comprend rien. Quoi faire ? Rester, attendre un peu ? C’est là qu’elle devait m’attendre. Ca ne lui ressemble pas. De s’éloigner. Comment ont-elles pu se perdre l’une l’autre ?

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« Je crois bien que cette petite s’était égarée…Plus de peur que de mal ! ».

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

5 commentaires à propos de “#enfances #00 | dans la salle des pas perdus”

  1. Ce contraste entre la panique intérieure, et la paralysie extérieure. Un instant, presque rien pour les autres, vécu si intensément à hauteur d enfant.
    J ai aimé qu il y ait 3 parties. Quel plaisir de te lire Émilie.!

    • Merci Carine ! Il n’y avait qu’une partie au début, et puis lire les autres contributions a fait surgir la 2 puis la 3. Moi aussi heureuse de te découvrir ICI ! A très vite !

  2. Je suis d’accord avec Françoise. Très fort de nous faire ressentir les choses du dedans la foule à hauteur d’enfant. « le pan d’un manteau vert qui lui frôle la joue et un homme dedans qui court, » très beau!