#enfances #00 (2) | Meaulnes

Copyright V. Queyrel

Tu m’embrasses. Une seconde m’échappe. Et tu n’es plus là. Flotte encore ton parfum. À peine quelques notes de tête. Respirations rassurantes des bruits connus : la porte entrebâillée grince. Grince aussi la marche de l’escalier de bois. Puis plus rien. Le silence.
Je suis allongée dans les draps bordés de froid. Ne reste que l’empreinte chaude de tes lèvres sur mon front. Je ferme les yeux. Il faut fermer les yeux pour dormir. C’est ainsi que l’on s’endort. Paupières serrées. Je ne m’endors pas. Je ne dormirai plus. J’entrouvre doucement mes paupières sur le silence opaque. Quelques mouches dorées volètent et clignotent sur le plafond. Témoignant des efforts que j’ai fournis à m’endormir. Je ne peux pas dormir. Je ne sais pas m’endormir. Je ne peux pas dormir. Sans toi. Toute seule. Fermer les yeux ne suffit pas. Le silence enfle et alourdit l’air de ma chambre. Je repousse les draps froissés. La sueur le long du dos. Sous le tissu épais de flanelle de mon pyjama. J’étouffe. Je cherche la lumière. Elle rampe du couloir en fine rainure sous ma porte . Jaune et poussiéreuse. Comme fatiguée. J’entends mon souffle trop rapide. Pourtant les draps propres sentent la lessive. J’enfouis mon visage sous le tissu de lin frais. Blanc uniforme. Une petite fleur bleue est brodée sur le revers du drap. Je ne la quitte pas des yeux. Une voiture ronfle à l’angle de la rue, s’arrête au feu rouge, redémarre. Un chat miaule sur un toit, se faufile au salon, le carreau du velux claque. Plus loin, le léger cahot d’un train va en s’éloignant. Ça sent la lessive. Je fixe obstinément la fleur bleue. Mains à plat sur la flanelle chaude de mes cuisses. Agrippent la peau nue. Je ne dormirai plus.

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

6 commentaires à propos de “#enfances #00 (2) | Meaulnes”

  1. J’aime beaucoup ce texte, les détails concrets mêlés des pensées,cet environnement à la fois familier paisible et hostile et la puissance du « je ne dormirai plus » que j’entends autant comme c’est fichu pour cette nuit ou comme je ne dormirai plus jamais.

  2. Merci Géraldine pour ce texte. Les phrases courtes haletantes qui disent l’angoisse du sommeil qui ne vient pas et cette présence perdue qui le favoriserait. Ces choses qu’on se dit, ces bouts de réalité auxquelles on s’accroche (les odeurs, les couleurs, le toucher, les bruits) pour y parvenir toute seule et vaincre l’angoisse ! Grandir en somme.