#enfances #02 | Les boîtes à trésors

Il suffit qu’un être découvre une boîte sous une pile de drap, pour que se produise une opération magique, elle devient une boîte à trésors, lui offrant un millier de rêves. Ces boîtes mystérieuses, souvent placées au fond des tiroirs et des étagères, ne sont pas cachées, juste protégées, recouvertes par les objets du quotidien. On les ouvre quand la maison vide et silencieuse nous protège du monde. Le cœur battant, on espère trouver l’objet rare, le talisman, souvent, on ne trouve que les souvenirs d’une vie et des petites choses que l’on n’a pas pu jeter et on ne saura jamais pourquoi on les avait protégés du temps ; j’ai découvert quelques boîtes à trésor et je les ai ouvertes par effraction. Je n’ai jamais été déçu, dans ces boîtes, il n’y avait que des petits objets inoffensifs, aucun trésor, le plus précieux était ce qu’elles m’avaient offert : une trace du temps, une toute petite fente par laquelle je pouvais apercevoir un filet du passé, le temps magique et interdit, l’espace où les fées et les fantômes dansent au soleil sous de grands arbres.
Sous les draps blancs, bien calés, la boîte en corne de buffle noir, je glisse ma main entre les plis de coton, et je sens au bout de mes doigts les gravures mystérieuses, je les suis, je devine une route, une rivière large est proche, une vallée, des montagnes difficiles, des crevasses et des pics, quelques grottes profondes et dangereuses, elles doivent être la tanière de certains monstres antiques, faits de bronze et de chair, armée de lames coupantes, je glisse l’objet à la lumière et devant moi, elle se transforme en simple boîte métallique, recouverte d’une publicité pour des gâteaux secs, il me reste de l’espoir, j’ôte le couvercle, je vois plusieurs photos en noir et blanc et une autre petite boîte étamée. Je regarde les photos, la première, montre un jeune homme sur les marches d’un wagon, il enlace dans une pose acrobatique une jeune femme à la silhouette élancée, les quelques passagers autour de lui portent un turban et ont le visage brun, la deuxième photo est étrange, on devine l’entrée d’une grotte, sur les parois que l’on aperçoit, des milliers de signes ont été gravés profondément, sur le sol de grandes plaques rectangulaires de pierre noire brillent, la dernière photo est incompréhensible, l’appareil a saisi l’intérieur de la grotte, mais au centre du cliché une zone est totalement noire, comme si ce qui était là avait absorbé toute la lumière, comme, un vide total. J’ouvre la petite boîte, il y a une bague en jade orné d’un gros rubis, je l’enfile à mon index, je sens le froid de la pierre, je ferme les yeux, puis je les ouvre et là dans le miroir en face de moi, je vois un vide identique à celui de la photo. J’hésite. Je plonge, je suis dans la grotte, elle est baignée d’une lumière douce, des taches d’ombres se déplacent sur les murs comme des feuilles déplacées par un vent chaud, une forme blanche et transparente s’approche de moi, elle reste au-dessus de moi, immense nymphe des brumes, le visage invisible m’absorbe, je suis l’autre, nous rejoignons dans les hauteurs solaires nos semblables, je passe en douceur d’un être à l’autre, je me vois en bas sur le sol noir, mon regard levé vers moi, nous sourions à l’unisson. J’entends des voix dans le jardin, j’enlève la bague, je range les boîtes, je reviendrais. Le lendemain je suis face à la porte au miroir de l’armoire, je l’ouvre vite, je glisse ma main pleine d’appétit, j’agrippe la boîte, je l’extrais brutalement, j’enlève en tremblant le couvercle métallique, je pousse les photos, je prends dans ma main la boîte froide et grise, j’inspire, la bague est sa place, je l’enfile, le vide dans le miroir se crée, je plonge, je suis sur les pierres noires, je regarde mes pieds, et je vois que la brillance ne vient pas des pierres, mais de flaques de sang à la surface de celles-ci. J’avance dans la pénombre, je bute sur un objet, je le tâte avec ma chaussure cherchant à deviner sa forme, j’appuie mon pied, j’entends un craquement et mon pied descend d’un coup vers le sol et j’entends de nouveau un craquement, je n’ose plus bouger, je m’accroupis et je tâte avec mes mains l’objet sur lequel j’ai marché, espérant ne rien toucher, je devine une structure faite de bois mort, comme un panier d’osier, j’éloigne ma main, je devine une forme ovale et froide, le dessus de cette forme est recouvert de filaments secs, dans mon crâne s’affiche à une vitesse stroboscopique tout ce que pourrait être cet assemblage, je hurle, je l’ai vu sans le voir, je ferme les yeux avant que mes larmes ne m’aveuglent. Je suis face au miroir, je range la boîte en tremblant, la bouche sèche. Je regarde mes pieds, sur mes chaussures je vois des traces de sang séché.

Codicille: Je crois qu'une partie de ce texte est inventé.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

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