# enfances #02 | propos décousus

J’ai une boîte à boutons, j’ai toujours eu une boîte à boutons, je n’imagine pas une maison sans une boîte à boutons et serais bien étonnée que chaque foyer n’aie pas la sienne, indispensable. Les jours de pluie sont associés à la boîte à boutons, les jours d’ennui aussi. L’objet lui-même je ne le revoie plus précisément, diverses images se présentent  — une boîte à gâteau en métal rectangulaire avec l’image d’un paysage breton, une boîte Tupperware en plastique opaque épais et marron ma mère était une fidèle, une boîte à chaussures en carton jaune —  je ne le revoie pas ou je le confonds avec mes propres boîtes à boutons. L’objet s’est estompé, reste la sensation de mes doigts qui fouillent dans la boîte, la première chose que je faisais, plonger les deux mains dans la boîte pour faire glisser les boutons entre les doigts. Je fais encore ce geste, mes filles petites ont fait le même quand elles jouaient avec ma boîte à boutons, plaisir transmis. Quand j’ai besoin d’un bouton, je continue à mettre une main dans la boîte pour chercher le bon candidat, je remue, j’aime le bruit, je retourne les boutons par poignées et comme je ne trouve pas celui qui conviendrait je finis par renverser le contenu sur un plateau. Après avoir obtenu l’autorisation de prendre la boîte, je m’asseyais par terre dans la chambre qui servait à ma mère pour la couture, avec sa machine à coudre, ses tissus, la planche à repasser, et glissais mes mains entières dans la boîte pour les sentir couler entre mes doigts, pour entendre leur bruit, tous ces boutons de formes, de couleurs, de matières, de tailles différentes, dépareillés ou par petits groupes, des paires, des trios, des boutons à trous, des boutons à tiges, des boutons brandebourg. Certains encore attachés par du fil à des cartes en papier, cartes jaunies et dont les coins étaient marqués, pliés ou manquants. Renverser ensuite le contenu sur un plateau, je le faisais déjà pour que le jeu se poursuive, la joie de trier, classer, apparier, décider des groupes pertinents pour la rêverie du jour. Certains s’associaient sans doute possible, pour d’autres c’était indécidable. Ainsi les petits boutons de nacre plats aux bords irréguliers comme artisanalement produits qu’il fallait superposer pour vérifier leur taille, les différences étaient si minimes dans les variations de la nacre brillante aux reflets bleutés ou gris, tellement de nuances qu’il était difficile de délimiter précisément lequel irait où (comme lorsque l’on cueille des haricots verts en essayant de choisir ceux de même taille et il y en a toujours un qu’on ne sait où classer et qui finit par constituer un nouveau groupe). Je pouvais aussi les organiser par nombre de trous, soit deux soit quatre. J’avais une préférence pour les petits boutons épais, les petits dômes en verre à la surface lisse avec au-dessous un petit tunnel pour passer l’aiguille, des verts et des bleus lumineux. Les pièces uniques aussi étaient trésors, le gros bouton noir en ébonite rond au moins trois centimètres de diamètre et trois millimètres d’épaisseur, percé de deux trous — sûrement issu d’un manteau au tissu assez lourd pour supporter un bouton de cette taille —  sur cette base ronde et lisse était appliquée une série de trois losanges superposés de plus en plus petits en matière plus mate. Je l’ai toujours, il n’a jamais retrouvé sa fonction première, il reste objet d’admiration. Un autre préféré était rond de la taille d’une pièce de dix centimes, recouvert d’un tissu violet sûrement assorti au vêtement sur lequel il était jadis cousu, deux petites perles dorées collées dessus. Je l’ai gardé aussi avec les boutons en corne en forme d’olive, les boutons en cuir et les boutons caniche ou chat. Tous ces boutons qui attendent, ils étaient dans la boîte à boutons de ma mère, il sont arrivés dans la mienne, je ne les ai pas volés, je ne sais plus comment ils sont arrivés, d’autres les ont rejoints, trouvés, achetés, récupérés sur les vêtements usés, il reste de la place.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

4 commentaires à propos de “# enfances #02 | propos décousus”

  1. Merci d’être passée du côté de la 3 et je découvre avec une joie d’enfant cette folie de boutons . Classer trier et surtout rêver.(quelle cueillette magnifique ) chacun de ces boutons déversé ( et les différences parfois si infimes) de la boîte vient secouer la mémoire..

  2. Retrouvé avec plaisir la sensation, le geste, ranger le fouillis de boutons grands et petits dans une boîte en vue de…Et qui n’a pas sa boîte à boutons quelque part dans un tiroir ou même une boîte à ouvrage? Joli souvenir! Merci!