#enfances #09 | La cathédrale de dents

Il y a le lit et tout ce qu’il faut, l’oreiller, la lucarne – la lucarne, c’est pour grimper sur le toit en chausson, parce que la nuit ça ne glisse pas, même quand il pleut, c’est comme ça la nuit – il y a le bois qui craque et qui couine – ça couine parce que dedans, c’est peuplé, des colonies entières qui crissent, grincent, s’essoufflent, tractent de lourds chargements minuscules – c’est qu’il y a un palais aussi quelque part, quelque part au coeur du bois – – il y a des rideaux, de toutes les couleurs et toutes les couleurs changent pour prendre la teinte d’autres couleurs – parce que c’est du chiqué cette histoire de couleur primaire, il y en a bien d’autres – il y a nécessairement un trou de souris et un morceau de fromage, un fromage avec des trous, et puis parfois des dents, alors il y a aussi très certainement une cathédrale de dents, parce que la maison est vieille, parce qu’on n’est pas le premier, parce qu’il y en a eu des petits, des gros, des grands qui ont perdu leurs dents, qu’est-ce qu’on peut bien construire avec des dents, je dis cathédrale, mais c’est peut-être une pyramide, des carrelages de dents, parce que ce ne sont pas uniquement des dents d’enfants, les dents de lait oui bien sûr, mais les dents de vieux aussi, parce qu’on n’y pense jamais, on oublie, mais elles viennent aussi récupérer vos vieilles dents, mais on n’y pense pas, des palais de dents – il y a le grand vent qui gonfle les rideaux comme des voiles quand la chambre flotte parfois les jours d’orage et de tempête, qu’il faut monter sur le toit en chausson, pour hisser pavillon, bien sûr, ça fait peur, ça fait froid, enfin on s’habitue, les voyages ça forge la jeunesse – il y a la crasse aussi, la sienne bien à soi, les traces rondes, les dégradés de jaune parfois certaines nuits, mais c’est pas moi, c’est un autre que moi, qui pense pas pareil la nuit, moi je dors, alors on change les draps – il y a des châteaux de drap, des labyrinthes infinis, parfois qui vous rentrent dans le nez, qui vous enserrent le cou, mais une autre galerie s’ouvre enfin, et l’air est frais, la lumière d’or, on s’y engage, on y ronronne, on met des années parfois à en sortir du labyrinthe de draps, quand on sort, quand on sort – c’est comme des parenthèses dans la parenthèse qui ouvrent d’autres parenthèses, il y a sous le lit le manuel de grammaire, c’est très compliqué, très très compliqué, des pages et des listes, on met des années parfois à en sortir de ce labyrinthe, si on en sort —-.

Codicille : c'est pas moi

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

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