#enfances #09 | nuit américaine

Les fenêtres étaient couvertes d’une épaisse peinture bleue pour ne pas être vus des avions. On disait que c’était les allemands occupants qui avaient décidé ça pendant la guerre mais quelqu’un l’avait grattée dans le coin en bas à droite juste à hauteur de mes yeux et les soirs de tempête je regardais la mer déchaînée, le phare et ses intermittences, un bateau au loin. Par ce petit carré, la mer devenait la chambre, l’horizon le mur du fond. Le lit flottait au milieu, tête et pied de bois ; à gauche un secrétaire de bois loupe plein de tiroirs magiques où il n’était pas question que je m’aventure ; posée dessus, une tête de bakélite récupérée un jour sur la plage sur laquelle on devinait des mots bizarres presque effacés orbiculaire de l’œil, sourenier, pyramidal, élévateur canin, os frontal, buccinateur, myrtiforme, carré du menton, orbiculaire des lèvres ; une petite table de nuit, dessus de calcaire imitation marbre et un livre de Anne Philipe Le temps d’un soupir, je l’y ai toujours vu, une photo de mer sur la couverture. Sur les murs, pas de tableau, pas d’image, seul un trait les parcourt, courbe peu régulière tracée en plusieurs fois comme trajets de nuits d’insomnie ou trace d’un monstre sorti de la mer en furie en quête d’un peu de calme auprès de la dormeuse attentive. Le jour par grand soleil, les après midis à l’ouest et au couchant le bleu des fenêtres porté par tant de lumière envahissait tout, nuit américaine.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

7 commentaires à propos de “#enfances #09 | nuit américaine”

  1. Voila une chamvre très attirante ! Je ne comprends pas qui est la attentive.dormeuse.

    • L’attentive dormeuse est née au bout du clavier. Je ne sais pas qui c’est mais je sais qu’elle existe puisque les mots l’ont inventée. Elle doit être émue par ton attention.

  2. Merci pour la peinture bleue qui me donne un peu de réalité à tout ce qu’on m’a raconté et aussi de ramener le livre d’Anne Philipe, totalement oublié, mais qui m’a accompagnée un moment. J’aime tout ce qui advient dans le texte juste à cause de ce carré de peinture gratté.

    • Je suis trop paresseux pour passer Anne Philipe, buccinateur et monstre marin à la moulinette de l’IA mais j’aimerais bien voir ce que ça donne. À l’occasion. Merci Anne.