Est ce le je qui ment ?



J’ai menti, j’ai aimé mentir, j’ai trouvé cela plus joli et drôle, je n’ai jamais menti utilement ou ne le voulais pas. J’ai imaginé des histoires pour les petits… elle constate que dans son tout compte non fait qui refusait, comme elle le fait souvent, le je qui l’importune – se regarder dans une glace et depuis des années reconnaissant ce qui est là, me faisant face, je ne puis toujours pas admettre que ce corps, ce visage, soient le logis de mon moi, ou que le je qui regarde, scrute, juge, soit ce je qui sent la brise se lever et danser sur ses bras – ce je, donc, s’était invité et pour parler justement de mensonge.

Elle a écrit j’ai menti et son esprit a souri, s’est attardé un moment avec plaisir, complaisance sans doute – j’ai beau m’en défendre y suis sujette – et puis elle a continué ; mais un je, le même, un autre, s’en amusait, retrouvait ce qu’elle avait déjà dit, tant et tant de fois, ou pensé si souvent que cela devenait une formule, quelque chose qui était extérieur à ce je qui prétendait l’affirmer.

Elle a écrit j’ai menti et elle a pensé je mens, je me mens, et c’était vrai en partie, mais pas totalement. Elle a pensé je mens et, par ce mensonge qui n’est que fixation par les mots d’une vérité passagère, je retrouve cette instabilité, ce mouvement du réel et de l’esprit le considérant qui me semble être la vérité du monde, même si j’aimerais tant que mon écriture ait la science, la profondeur, la fermeté pour l’exprimer.

Elle relit le fichier, s’insurge contre la maladresse des mots, la façon dont ils refusent de venir, de tomber juste, de dresser la solidité, l’ossature qui règne sous le miroitement des sensations auxquelles je m’attache quand la lumière baisse ou me fait signe sur les pierres du mur, derrière les vitres, pendant que passent les nuages ou que la voix d’une conférencière que j’écoute d’une oreille distraite pour que mon attention ne soit pas distraite se fait désagréablement métallique, et vient poser son aigreur dans ce qui s’écrit…

Mais elle se rappelle du plaisir, cette nuit, de trouver dans le lac de Jean-Pierre Suaudeau (publié par publie.net) l’unité du narrateur qui se décline en je et il.

(publié le 28 octobre 2019)

image © Brigitte Célérier – Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

9 commentaires à propos de “Est ce le je qui ment ?”

  1. La phrase qui hésite et tâtonne fait sentir le souffle du vent qui ne fait que passer comme toutes les sensations ou pensées qui oscillent en permanence dans le corps et dans la tête en brouillant la vue, les sens et le jugement… Vérité ou mensonge, bien malin qui peut démêler le vrai du faux…

  2. eh oui… le corps, le visage sont bien le logis de nous… et le je… un agent double parfois
    Merci pour ce texte. J’avais aimé « l’original » en particulier, sans que je me l’explique vraiment, ce  » J’ai aimé mentir  » …

  3. Vérités nous concernant tous ! beau texte de devant la glace, sa froidure, son plan dur, et l’extraction de la chaleur qui prend son envol … pari tenu.

  4. « Elle a écrit j’ai menti et son esprit a souri » : merci pour ce moment de grâce, Brigitte Célerier ! Votre beau texte fluide me parle en profondeur sans passer par la pensée, un peu comme une vérité qui se chuchote doucement …

  5. Ce que j’aime dans ton texte, Brigitte, c’est que l’on avance en même temps que toi, dans un tâtonnement autour de cette fameuse proposition… Ce mensonge de l’écriture, par l’écriture, comme il m’est familier… et indispensable ! Et ce que j’aime le plus sans doute dans tous tes textes, c’est cette sincérité de la parole. Je n’ai toujours pas écrit cette proposition, je me résous à lire avant d’écrire contrairement à mon habitude, parce que là, je sèche depuis des semaines, et que je crains de renoncer à terminer… J’espère l’élan ! Merci pour celui que tu m’inspires !

  6. Aimer mentir, c’est beau. Et ça doit être gai. Aimer plutôt que culpabiliser de mentir. Aimer mentir comme aimer sauter dans une flaque d’eau ou manger une glace à la vanille. Et puis ce rapport à l’écriture en fin de texte, ça parle.