#été 2023 #02bis | Retour de boîte

Étapes pour un retour de boîte :

  • Une petite entrée dans un grand pan de mur. C’était quelque part derrière le quai de Paludate, la rue des bars après la gare, un grand entrepôt transformé en boîte de nuit, un nom évoquant son ancienne activité industrielle, genre L’Atelier ou Le Hangar. Une entrée tout ce qu’il y a de plus commun, mais aucune ouverture autour. Il fait sombre. La chaleur est tropicale. On prend un verre. Les spots mobiles tissent une toile éphémère de lumières multicolores hallucinées sous beats acides ultrarapides. On sort.
  • Ça ferme, le quai s’ébranle. Au milieu de la nuit, la foule sur le trottoir, petit embouteillage sur la route. La queue au kebab, l’huile rance. Les verres vides sur un rebord de fenêtre, derrière la grille de défense. Des chats sous une poubelle. Les mecs alignés contre le mur au coin de la rue, les flaques d’urine. Le coup de pied sur une bouteille, ça gicle. Enseignes, néons clignotants. Bousculés. Les filles qui soutiennent un gars. Klaxons, warnings, et ça gueule derrière. On se presse, on se tient par la main. Un tas de papiers chiffonnés dans une bouche d’égout. Un bruit de clés. Comme des billes dans un flipper claquant toutes ses lumières criardes, au moins dans ta tête.
  • Voix. Pas seulement les mots qui fusent, pas les paroles insignifiantes pour une énième blague débile. Mais l’amplification, la déformation. La désarticulation des mots mâchés. Les paroles du nez dans l’oreille. Le timbre éraillé, assourdi. Monotone, à l’estouffade. Les éclats de rire tombés d’un immeuble. Un cri d’une rue souterraine. Et toujours un pour faire le loup, mais où ?
  • On coupe par le dédale des rues autour du conservatoire. On s’y perd. Rue Sauvageau. Cette rue claire l’été, arborée alors, aux airs de petite ville de province. Un bourg de village à la limite, la place de pavés du théâtre, à l’ombre de vieux platanes, ouverte au parvis de l’église Sainte-Croix. Et puis le parallélépipède de verre de l’institut de technologie. Retour à l’effet tunnel. D’autant plus étroit que le cours de la Marne s’élargit, les bâtiments deviennent gris, les lampadaires rendent une lumière élastique, plus faible à mesure qu’elle s’étire le long du cours interminable. Et l’autre qu’en a après les poubelles, à grands coups de savates et ça fout un bordel ! La prochaine fois, on prendra par-derrière, les Douves.
  • La place des Capus. Dernier verre obligé au Temps (puis Bistrot, Bar aujourd’hui, les temps changent parce que les noms changent) des Copains, dans un coin de la place. On n’a jamais vraiment su si ça allait fermer ou si ça venait d’ouvrir avec les commerçants qui s’installaient dans le marché couvert. Mais quelle question ! Aucun besoin de se la poser alors. Comme on n’avait pas besoin du dernier verre. Du bout de la nuit ? Oui, peut-être. Le temps s’écoulait dans nos verres, la nuit dans nos gorges. Le bout au fond du verre, en mousse éventée. Et un dernier morceau pour la route sur le juke-box, Cause I’m the miggity miggity miggity miggity Mac Daddy (Bo, bo)
  • En partant, parfois, des chocos fondantes au boulanger du marché. Ou en passant un scoot et un coup de casque sur le crâne.
  • À la Victoire, on se disperse. On rentre à deux, ou seul, en croisant une ombre ou deux. Les bruits de la ville. Le grondement d’un moteur, une pétarade, quelque part sur les boulevards ? Le tonnerre qui roule, la pluie. La dalle dégueule sur tes pieds. Partout la route scintille. Le goudron chaud s’évaporeµ. Du bleu par intermittence sur les murs là-bas. La prochaine fois on prendra la voiture.
  • La voiture. Mais la nuit quand tout le monde est garé, on tourne, on tourne. Loin derrière les pompiers. Ou avant, vers le palais de justice. Ou de l’autre côté du cours, près de la bibliothèque municipale.
  • L’avantage, c’est que c’est déjà ouvert en bas. La lumière est sur minuterie. Tu finis par te retrouver dans le noir, à monter à tâtons, en attendant de pouvoir rallumer. Pas de lumière sous la porte du voisin, mais on l’entend aller et venir, et trafiquer Dieu sait quoi. Tant pis pour la lumière. Tu poursuis sans bruit, guidé par la lueur du toit vitré, ouvert sur la nuit. Le clapot de la pluie sur les carreaux, tu devines la serrure. Ça force.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

2 commentaires à propos de “#été 2023 #02bis | Retour de boîte”

  1. Atmosphère de chaque paragraphe, on y est. Celui que je préfère : « Voix. Pas seulement les mots qui fusent, pas les paroles insignifiantes pour une énième blague débile. Mais l’amplification, la déformation. La désarticulation des mots mâchés. Les paroles du nez dans l’oreille. Le timbre éraillé, assourdi. Monotone, à l’estouffade. Les éclats de rire tombés d’un immeuble. Un cri d’une rue souterraine. Et toujours un pour faire le loup, mais où ? »

    • J’ai essayé de reconstituer un parcours, parmi tant d’autres (mélangés d’ailleurs), à coup de timbres-poste. — Oui, moi aussi j’aime bien le loup des villes. — Merci Laure