#été 2023 #03bis | Un lieu pour elle quatre

Recherche sur un lieu pour elle quatre :

  • Idée. Réunir trois personnages dans une chambre. À la fin, il n’en restera que deux. Il y en aura un de moins. Et on fait tourner les chambres à trois. Une fois, deux, quatre. Et toujours un de moins. Le même. Quatre chambres à trois, moins le même. Et à la fin, c’est toujours la même chambre. Une contre-chambre, disons, faite de l’addition des quatre autres. (Imbriquées va savoir comment.) La chambre du moins un. La chambre des échos de l’une, elle(s), moins l’autre. L’autre, qu’il aurait bien extrait de la chambre. De chaque chambre. L’autre, celui qui restera à chaque fois. L’autre qui n’existera pas dans la contre-chambre. L’autre : l’un plus le moins un. L’autre, par échos, annulé. Comme lui avec elle(s). Ça fait une situation ?
  • Ça doit être l’histoire d’Amélie, elle qui sait si bien s’arranger pour réaliser les désirs des autres, mais si mal pour le sien. (On a envie de lui dire : — T’inquiète pas, il est passé par ici [la vie], il repassera par-là [le rêve]. — Oui, mais… encore combien à attendre ?)
  • Fin de soirée, très tard. On la raccompagne. Une rue derrière la Victoire. Déserte, à moitié éclairée. Embrumée. Dehors comme dedans. On n’a plus les idées en face des points. Il fait frais. Son studio, c’est de l’autre côté. Café ? La voix de… elle, dont le nom m’échappe, s’est encore aggravée. Un effet des clopes et de l’alcool de la soirée ? Mais chez qui ? Digicode, un grand hall qui résonne. À contourner un pilier énorme pilier rond. Le couloir, les clefs. La bouilloire calcaire. On discute. Un sur le lit, les autres dans des fauteuils. La lumière de la lampe de bureau, la fumée des cafés. Les quatre chiffres des minutes rouges du radio-réveil tournent. Et il se demande encore pourquoi elle et Cecca ont parlé de quelques épisodes de la Bible. Il se demande pourquoi ils l’ont questionné là-dessus, pendant qu’elle était en train de lui faire du pied. Il se demande pourquoi Moïse a fendu les eaux en deux avec une main sur le genou, bientôt la cuisse. Il se demande comment il est parvenu à refermer la mer de paroles alors que l’une et l’autre le relançaient d’une question caressante. Il se demande qui était le plus con ? Elle, qui écoutait le récit sans le lâcher, lui, des yeux, la jambe de l’autre en main ? L’autre, qui se laissait faire et ravivait le foyer du récit comme si de rien n’était, l’air intrigué ? Ou lui-même, au café froid, ne sachant comment tuer la ménorah à trente-six chandelles d’un récit revisité par l’ivresse, la fatigue, l’œil rieur, le désir, la main dans la main, l’heure au rouge, l’oubli ? Et personne pour le raccompagner sous la pluie rue Les Terres.
  • Woolf : « c’est dans notre paresse, dans nos rêves, que la vérité engloutie fait parfois surface. »
  • Une petite visite avec Yoyo chez Anne, avant la soirée. À deux pas de la Victoire, un appartement à l’étage. Premier ? deuxième ? — Une grande pièce en L. À la fois minimaliste, avec peu de meubles sinon une grande table basse et quatre chaises, des matelas mousse en guise de fauteuils bas, modulables pour un grand canapé ou un lit carré, recouverts par un patchwork de couvertures, et des étagères en bois contenant vaisselle, couverts, batterie de cuisine, conserves et paquets en tous genres, des appareils et des babioles, des disques, des livres. Formes et couleurs mêlées pour un air baroque. — Un café ? On s’affale. Les fenêtres ne donnent pas sur la rue, mais c’est assez lumineux. De la pluie, du beau temps. Des cours. À rattraper, elle a séché. Elle compte sur ME, ses notes. — Ses yeux clairs, ses sourcils aux pointes arquées, le nez fin qui se relève un peu, des taches de rousseur discrètes sur son teint pâle, les fossettes, où va l’œil rieur de Yoyo en laissant rouler la mécanique de sa voix grave, un coup de main dans ses cheveux bouclés. — Comment ça se fait tous ses livres ? C’est qu’elle était en prépa à Montaigne, mais elle a préféré reprendre l’université. Le rythme, c’était plus souple maintenant. Du coup elle avait le temps de lire. — Et dans un film de Melville, il y a cette scène comme ça, à trois, où la caméra va de gros plans en gros plans sur le visage de Delon qui regarde Deneuve, d’elle qui regarde Delon, et de l’autre qui les regarde se regarder et qui comprend, peut-être. Il a droit à un regard de temps en temps. Question de politesse. Mais il comprend quand même que, quand Deneuve baisse les yeux. — Bon ça va être l’heure, les autres vont attendre… — Ouais vas-y, on vous rejoint après, moi j’reste là en attendant ME.
  • Eurofac, près de l’université, au milieu d’un parc d’immeubles, tout en haut. Vue sur les autres immeubles, la rocade, quelques toits du quartier voisin. Invité à manger chez Coralie, avec Matmat, mais sans Mélanie cette fois. On est en froid… — On étouffait. Pas d’air sur le balcon. Des moustiques. On rentre, on ferme. On étouffait. Coralie s’affaire dans sa cuisine couloir. La casserole sur la plaque électrique, le four, ça fume. Elle a oublié ça… Elle s’affaire. Elle n’aime pas la cuisine. Elle s’affaire. Elle dégouline. Elle étouffe. Elle n’aime pas. Un coup de main ? — Elle ne dit pas grand-chose. D’habitude elle parlait. Comme elle parlait d’habitude. Elle se répétait même. Elle tournait en dérision. Elle renversait la situation. Là, elle ne dit plus grand-chose. Là elle s’étouffe. Et le risotto pas crémeux, sec même, à coller au fond de la casserole. Elle ne sait pas faire la cuisine. Elle n’aime pas. On dégouline. Elle ne l’aime pas. Plus. C’est fini.J’vais y aller aussi… Non, mais tu peux rester… Ben ouais, reste, moi faut qu’j’y aille sinon Mélanie va criser… Oui, reste… — Elle voulait qu’il reste. Il ne voulait pas. Elle voulait qu’il reste, elle voulait qu’il passe la nuit. Il comprenait. Il ne voulait pas. Elle voulait qu’il reste la nuit. Elle pouvait lui faire une place. Il ne voulait pas comprendre. Il ne pouvait pas. Il voulait bien rester. Il ne voulait pas, il voulait quand même bien. Il ne pourrait pas. Elle lui ferait une place à côté d’elle. Il ne voulait pas rester, il ne pourrait pas la nuit. Elle voudrait bien à côté d’elle, elle lui ferait une petite place. — Et la nuit, à tourner, à virer, à étouffer, la nuit avec un pied, un genou, à dégouliner, la jambe, à se tourner et retourner, la nuit blanche, la ville d’ombres, le souffle de la rocade et trois tours à faire couiner le drap en sueur. On se laisse glisser. Et le reste de la nuit à côté. Par terre, sur la moquette. Le coussin d’un fauteuil sous la tête. La baie du balcon entrouverte. Un rayon de lune. Un filet d’air.
  • Chez JL et Sophie, juste derrière la fac de lettres, un deux-pièces au rez-de-chaussée avec un petit jardin. À parler musique en écoutant du punk, les dernières sorties et l’émission de Lenoir, le concert Black Session. À refaire la soirée du week-end, les conneries de l’un, de l’autre. Le lit pas fait, les fringues en bouchon, le bureau retourné sous les cahiers, les classeurs, les disques, les livres de physique ouverts, couverts de feuilles volantes en vrac, le pot à crayons couchés, des notes par terre, la machine qui télécharge avec. Et toujours à un moment donné sa fascination pour Lovecraft. — Sophie sortant de la salle de bain, dans le peignoir à capuche trop grand de JL qui lui cache les mains et les yeux. Elle se campe là, devant nous, genre Blondin, ou le Truand, pas si mauvais au fond, prêt à dégainer, et elle sort son flingue à trois doigts de la poche du peignoir, le pointe vers les gars et rabote de sa petite voix un Toi, si tu tiens à ta vie maintenant, dégage… ! J’ai un compte à régler avec l’autre, là, qui sera un homme mort même s’il en sait rien encore, après une petite chevauchée dans la brousse… Allez plus vite que ça gamin… ! File !Tu vois comme elle est… ? Si c’est pas une déclaration love craft, ça… Allez salut !
  • La contre-chambre. Elle quatre, dans un espace de moquette grise sans limites apparentes. Au milieu d’un parc de grandes étagères, de formes et de couleurs différentes, recouvertes de draps barbeyant sans cesse, comme si des pieds et des mains dessous donnaient des coups. — L’une d’elle déambule entre les étagères. Elle regarde derrière un drap, y fourre son bras, le retire. Une poignée de feuilles en main. Elle lit « … la nuit, à vouloir, ne pas vouloir, pouvoir, ne pas vouloir rester, vouloir, comprendre, rester la nuit, à pouvoir, rester sur place, ne pas comprendre, ne pas vouloir, ne pas pouvoir rester, faire une place, vouloir une place, pouvoir comprendre, rester à côté, ne pas vouloir rester, passer la nuit, à ne pas vouloir de place, rester à côté, vouloir d’elle, pouvoir rester, rester sans comprendre, ne pas pouvoir avec elle, ne pas faire de place, vouloir d’elle, passer sans elle la nuit, à comprendre à côté… » Les feuilles finissent par voler sur le sol. Drôle de cuisine. Quelqu’un passe entre les étagères, disparaît derrière l’une d’elle. Elle veut suivre ce quelqu’un. Elle se faufile entre les étagères. Elle tourne autour, elle va et vient, s’avance vers la limite vide de l’espace. Elle revient. Personne. — L’une d’elle va s’asseoir sur l’amas de fringues entre deux étagères. Affalée, genoux repliés. Elle pense que c’est fini, elle se répète que c’est fini tout ça, que c’est qu’une vieille histoire, que c’est comme ça depuis des lustres, que rien n’a changé, que c’est à pleurer, à pleurer, à pleurer toutes les larmes de son corps, à pleurer et depuis le temps on en aura rempli des mers, on aura dû les traverser du coup, et ça aussi c’est à pleurer ces larmes en obstacle insurmontable, en mer à fendre d’un bloc impossible, et autant se fendre la gueule, c’est à se flinguer. Un courant d’air. Elle jette son bras en arrière et tire un peignoir dans lequel elle s’emmitoufle. Elle disparaît à moitié, se frotte les genoux, les jambes. C’est fini. — L’une d’elle pense Non ! non et non… ! elles ont tort… de chercher, de se cacher… non… ! c’est de marcher… l’important c’est ça, c’est le chemin… ! Elle était plus jeune que ses autres. Plus fauve surtout. Elle frottait plus fort ses cuisses, ses genoux. Et puis ses pieds. Et puis on étouffe là-dessous… ! on étouffe… ! Elle se relève et ôte le peignoir qui dégouline. Elle marche entre les étagères comme dans une rue déserte. Il le vent se lève. Les draps fasèyent, claquent parfois. Elle marche nue. Attrape un drap et s’en enveloppe. On aperçoit des pieds et des mains agités sur les étagères, au milieu de disques et de livres en désordre, et une machine à l’écran noir, mais brillant au bord du vide. Elle ventile et laisse échapper une brume qui envahit l’espace. — Et l’une d’elle, enfin, revient à tâtons en s’appuyant sur les étagères. Guidée par la lueur de la machine. Elle la pose par terre. Renverse l’étagère qui s’abat en un grand fracas. Des crayons et des pages remplies de formules de physique et de phrases techniques volent. Les pieds et les mains maintiennent la structure renversée. Elle pose la machine dessus, et prend un tas de fringues derrière pour pouvoir s’asseoir comme on s’installe à un bureau. L’important c’est le chemin… ? D’un doigt sur le clavier, la machine s’allume. Elle se met à taper et à répéter d’abord quelque chose de simple, du genre de Jack dans Shining. Dans la brume, le drap humide épouse ses formes, lui colle à la peau, commence à suinter, s’iriser. Quelle plaie !

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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