#Été 2023 #08-bis | Calamus, barbes, barbules et compagnie

Oiseau, dessin, oiseau, dessin, tu revois le va et vient de son regard entre le ciel et la feuille, entre l’infini bleu et le rectangle blanc. Toujours tout au Bic noir, ou encore au crayon, voire au feutre, à la plume ou à tout ce qui pouvait lui tomber sous la main, mais toujours monochrome, toujours sur un carnet, avec, page de gauche, des notes, nom de lieu, description rapide pour mieux se situer, avec des points de repère précis, simples à retrouver, clocher, maison remarquable, phare, bouée, gros cailloux en forme de molaire ou de bec de faucon, des alignements comme on en prends en mer, une date, des chiffres et des nombres et puis des commentaires en quelques mots à peine. Parfois, un croquis rapide du lieu, mais jamais peaufiné, une note dessinée. Pour le dessin de l’oiseau sur la page d’en face, il prenait tout son temps et son visage changeait, toujours concentré, mais avec un petit voile, une distance, un écart, un plaisir évident, une sorte d’éloignement dans un monde bien plus vaste, inaccessible aux autres où il se sentait bien, comme on blotti sa tête dans une capuche douillette. Commencer par tenir le crayon loin de la pointe, allongé sur l’index, l’incliner pour avoir un trait fin et léger, quasiment invisible, la mine à peine posée sur le blanc du papier, avec la liberté d’y revenir plusieurs fois pour affiner, essayer autre chose, faire un bec plus fin ou un corps plus épais. Suivre l’oiseau des yeux, le voir battre des ailes, peut-être même plonger et puis redécoller, un poisson dans le bec. Les oiseaux ne posent pas, il faut vite attraper l’attitude que l’on voit ou espérer qu’un autre reproduise le même geste. Parfois le temps ne joue pas, comme quand ils sont au nid ou qu’ils sont des milliers sur le même bout de caillou. Alors au fur et à mesure, le crayon se déplace, se recale dans sa main, non plus en appui long, parallèle à l’index, mais calé sur le muscle, sur la plage de peau douce entre pouce et index. Le bout des doigts se rapproche pour plus de précision, le trait prend de l’épaisseur et de la fermeté, une sorte d’assurance à marquer le papier, y déposer son trait. Chaque plume avait droit à son temps d’attention, à ses traits bien à elles, jusque dans le détail, le tout petit détail qu’on ne verrait sûrement plus une fois le dessin fini. Les plumes c’était son monde. Un long calamus central, résistant comme une carapace d’insecte et de chaque côté, les barbes, en nombre presque infini et divisées elles-mêmes en barbules secondaires sur le principe du tronc qui se divise en branches, puis en branches plus petites et encore plus petites pour aller jusqu’aux feuilles, toujours le même schéma, toujours le même principe, mêmes motifs recopiés, plus nombreux plus petits, divisions infinies qui donnent le tournis, te renvoie aux fractales, à ce zoom des deux doigts qui écartent sur l’écran pour plonger encore plus dans le secret des choses, avoir plus de détails, écarter la surface pour aller voir dedans, sombrer dans la matière, l’infiniment petit avec pour seule limite celle de tes souvenirs et de la bille du stylo qui dessinait l’oiseaux. Autant pour ses dessins que pour tes souvenirs, vertige de l’infini cloîtré dans le fini

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.