#été 2023 #5 bis I Elle, elle est avait un nom avant

Elle, elle avait un nom avant. Avant de l’épouser. Bon c’est comme ça la société, les femmes ça se marie, ça change de nom. Mais est-ce qu’il faut aussi changer de prénom. Lui sous prétexte qu’il l’aime pas, il lui en trouve un autre. Mais est-ce que ça compte j’aime ou j’aime pas. Hein. Le prénom c’est pas rien. On est qui sans notre prénom. Moi j’ai pas fait d’étude hein rien du tout. C’est sûr que lui, le mari là, c’était l’université et tout le tintoin monsieur l’intellectuel. Moi sûr que je suis qu’une petite coiffeuse. Mais quand même je suis pas aveugle. Parce que ma soeur quand même je l’ai vu qu’elle a changé. Mais changé changé je veux dire. On pourrait penser c’est plus la même personne. Bien sûr l’enveloppe est restée. Quoique quand même je lui trouve grise mine. Sûr elle a toujours été la mélancolie incarnée ça oui. Mais tout de même. Triste comme ça c’est triste. Puis le truc c’est la personnalité. Moi un homme, c’est simple, il aura jamais le pouvoir sur moi. Jamais. Mais elle, elle s’est laissée faire. Elle le voit pas comme elle a changé. Elle est comme son ombre. Elle ose pas le contredire. Toutes ses idées à lui c’est ses idées à elle. Comment elle a pu perdre ce qu’elle était comme ça. L’oublier. Elle était fière d’avoir fait des études. Des filles, c’est la seule. Dû attendre que la mère meure pour les faire. Dû travailler pour les payer. Elle s’est accrochée. Et regarde le résultat. Elle est plus rien. On dirait un gourou ce gars. Et l’autre jour, elle passe chez moi, elle pleurait. Il lui avait ramené deux robes qu’il avait achetées pour elle dans un supermarché. Un supermarché hein pas un magasin. Tiens qu’il dit, t’as qu’a mettre ça. C’était même pas vraiment à sa taille. Moi, aucun gars me ferait ce coup-là.

Elle, si je m’en souviens d’elle. Sûr que oui. Elle, c’était une amie. On était très liées. On faisait nos études ensemble. C’était une jeune fille brillante. Très respectée par ses condisciples. Et intelligente, vive. Elle avait des idées avancées pour l’époque. C’était un moteur dans la classe. Elle vivait seule et elle venait préparer ses examens chez moi. On faisait le blocus ensemble. Elle dormait chez moi pendant le blocus. Elle aimait beaucoup ma mère. Elle avait un lien spécial avec elle. Elle était orpheline. On aurait dit qu’elle cherchait une mère de remplacement. Parfois je trouvais qu’elle exagérait un peu avec ma mère. Bien sûr on peut chercher de l’affection mais ça doit rester dans certaines limites. Et je trouvais que parfois, elle les dépassait.

Elle, je l’ai rencontrée dans un sanatorium. Elle était plus malade mais elle venait profiter du calme pour étudier. Elle avait presque fini ses études. Je pense qu’elle avait déjà des perspectives de travail. C’était une jeune fille jolie. Sérieuse. Organisée. C’est au sanatorium, c’est là qu’elle l’a rencontré. Lui, il l’avait la tuberculose. C’était un type extrêmement intelligent. Un beau parleur. Et révolté. Un type qui avait du charisme. Et ses idées sur tout. Passionné. Déchiré. Il était jeune mais il avait de la culture. Il pouvait parler des heures. De Marx, de Jésus-Christ, de Jazz ou alors de littérature. Il écrivait des poèmes et il les déclamait devant nous. Mais il était assez torturé. Il arrivait pas trop à savoir ce qu’il allait faire de sa vie. Il se cherchait. Il avait des parents horribles, enfin c’est ce qu’il disait. Un père colérique qui l’avait battu. Mais on battait les enfants à cette époque. Et une mère autoritaire et cassante. Il la haïssait, j’avais jamais vu ça. Ils sont tombés amoureux là-bas. Au sanatorium. C’était beau cette relation qu’ils avaient. Ils passaient tout leur temps ensemble. Elle, elle le dévorait des yeux, elle l’appelait mon intranquille, oui, voilà, je me souviens. Moi aussi j’étais un peu amoureuse de lui. Mais moi je savais à quoi m’en tenir avec ce genre d’homme. J’avais été mariée à quelqu’un dans ce genre-là. Et il m’avait trompée sans cesse, j’avais été très malheureuse. Je m’étais remariée avec un homme simple mais qui était stable et loyal. Elle, elle était plus âgée que lui, ça, je me souviens. Lui, il sortait du service militaire je pense. Je ne sais même pas si il avait déjà commencé ses études. Il vivait encore chez ses parents. Il était perdu, mal dans sa peau, ses parents ne lui donnaient pas un sous. Ils se sont mariés assez vite et ils se sont mis en ménage. Ils sont allés vivre dans une maison château et lui, directement, acheter des meubles chez les brocanteurs, du baroque, et faire toutes sortes d’excentricités. Je pense que c’est elle qui payait pour tout. Leur mariage a eu lieu chez nous. A la campagne. C’était une situation un peu bizarre. Ses parents a lui avaient boycotté le mariage parce que la mère la détestait, elle. Une petite femme gentille et douce comme elle. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’elle venait d’un milieu modeste. Sa mère était coiffeuse. Et que lui, son père à lui dirigeait une entreprise. Ses parents à lui, enfin la mère avait même interdit aux frère et soeurs d’y assister. Tellement la mère était remontée. Ca a été un mariage intime. Juste des amis. A lui bien sûr. Pour elle personne, à part la soeur. Aucun ami qui soit là. A se demander si elle en avait. Ca s’est terminé de façon un peu bête. Mais j’avoue j’étais pas surprise non plus. Ils venaient passer des vacances à la maison. Avec les enfants. On s’entendait bien. Mais un jour, il a débarqué avec un saxophone. Il avait découvert le free Jazz. Il a sorti son saxophone. Il n’avait jamais étudié la musique. Il s’est mis à jouer. Si, bon, on peut appeler ça jouer. Moi j’avais l’habitude de ses exubérances mais mon mari, un homme simple (il était plombier), il entend ça il dit : oui tu sais pas jouer quoi. Lui vexé mais vexé ! Il avait beaucoup d’amour propre, fallait pas le contredire ça non. Il a remballé son saxophone. Il lui a dit viens en rentre. Et elle, comme une petite fille, elle a baissé la tête, gênée, elle l’a suivi. Honteuse évidemment de nous faire cet affront. S’excusant du regard. Et puis on s’est perdus de vue.

Elle je l’ai connue vers la fin de leur mariage. C’était tendu entre eux. Pas agréable. Lui, il n’en faisait qu’à sa tête. On est restés amis avec elle après leur divorce. Une femme très chouette. Elle nous a beaucoup aidé ma femme et moi quand on a eu notre deuxième enfant. Avec le restaurant c’était pas facile. Elle gardait souvent le bébé. On l’aimait bien. Mais c’est vrai que c’était pas quelqu’un de drôle. Une femme angoissée. Très angoissée même. Toujours inquiète. Ne voyant que le mauvais côté des choses. Puis pas trop sociable non plus. Les gens l’aimaient bien mais c’est elle. Comme si elle savait pas se lier d’amitié. Elle faisait pas confiance aux gens je crois. Un peu sur la défensive toujours. Et dans les conversations. Toujours un peu à côté.

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.

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