#été2023 #05 | Renée C. (1931-2023)

La fille – J’ai reçu un appel de la maison de retraite. On m’annonce que c’est pour bientôt. Que je n’aurai peut-être pas le temps de faire la route. Qu’elle serait partie avant. J’ai répondu qu’elle pouvait partir, qu’elle ne m’attende pas. Je lui avais tout dit. On s’était tout dit. Avant-hier elle avait même hissé difficilement sa main pour me caresser la joue. Son geste à elle du fin fond de sa mémoire. Un geste inoubliable. Et puis j’ai pensé – sans oser le dire même si l’infirmière savait comprenait – j’ai pensé qu’il fallait qu’elle parte. Ca ne pouvait plus durer. Personne ne devrait finir comme ça. J’ai fini mon service et puis un autre coup de fil. Dans la voiture, quand j’ai vu s’afficher le numéro de la résidence, je savais que c’était la fin. Je me suis arrêtée sur le bas-côté comme je pouvais. C’était l’infirmière. Elle est partie vers midi. Elle m’a dit qu’elle lui avait parlé, qu’elle lui avait dit qu’elle m’avait eu au téléphone, que j’arrivais mais qu’elle pouvait partir quand elle voulait. Et puis dans les minutes qui ont suivi, elle a cueilli son dernier souffle. Elle a exprimé ça comme ça. J’ai raccroché. J’ai pleuré. Je ne m’y attendais pas. Je croyais avoir versé toutes les larmes.

Mme M. – Y a quelqu’un ? Y a quelqu’un ? Personne m’entend… Je veux sortir. Y a quelqu’un ? Faut que je rentre chez moi. J’ai laissé la casserole sur le feu. Y a quelqu’un ? Personne me dit rien. Faut pourtant que j’aille à la messe. Nadine a dit qu’elle passerait. Faudrait que je retrouve la clé. Y a quelqu’un ?

L’infirmière –Votre fille arrive. Elle m’a chargé de vous dire que vous pouviez partir tranquillement, que tout était bien. Vous êtes prête, Mme C. Je suis là. Votre fille ne va pas tarder. En attendant, je vous tiens la main. Je reste avec vous.

Monsieur D. – les fleurs fanent le jour qu’on est on saura bien un jour quelqu’un boira-t-il donc ce sacré verre d’eau voilà l’autre qui rôde encore le boira le boira-t-il pas et Renée et les fleurs faudra que je trouve un apprenti le dernier n’était qu’un bon à rien le verre d’eau dans les fleurs et Renée faudra que je demande à Caroline et Renée les fleurs fanent

La petite-fille – Le téléphone vibre. C’est maman. Je ne réponds pas. Je ne saurai pas mentir aujourd’hui.

Michel – La porte est fermée. Tous les jours qu’elle est fermée la porte. La porte est fermée pour toujours. Toujours. Toujours. C’est bien chez elle. La photographie sur la porte. La porte est fermée. Je peux plus rentrer. Elle a disparu.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

Un commentaire à propos de “#été2023 #05 | Renée C. (1931-2023)”

  1. « J’ai répondu qu’elle pouvait partir, qu’elle ne m’attende pas. » Très fort! C’est pour moi la colonne vertébrale du texte. Bravo!