#été2023 #07bis | lin camomille silène

Elle l’avait préparé, ce corps tenu dans l’intérieur, corps secret, corps tourné viré cent fois dans ses nuits, bientôt prêt au glissement vers le monde, à mesure des semaines elle le distingue et se demande comment il va sortir, elle le voit accroupi dans le sien alors qu’elle se marie avec Jude le deuxième dimanche des moissons, l’espace embaume le blé fauché presque à étouffer, effluves de graines écrasées et de fleurs, fleurs de lin nielle silène camomille bleuet, la lumière est constellée de minuscules poussières pareilles à des lucioles qui la font circuler partout très haut, le jour est plein, Jude sourit, elle est assise près de Jude, elle veut se moquer de ce que pensent ses frères de leur alliance et du corps invisible de Siméon, elle voit les enfants qui jouent avec la lumière et essaient d’attraper les lucioles, les secondes ont cessé de s’écouler tandis qu’ils boivent rient dansent, le corps bouge en elle, cette part enfermée d’elle dont elle ressent les émanations et contours soudain lui pèse, elle le dit à Jude, le corps de Jude assis près d’elle long et souple comme une branche de saule dans son élégance et sa blancheur, dit aussi les prénoms auxquels elle pense, noms de fille marjolaine origan, Jude a piqué des nielles pourpre dans sa couronne comme on le fait dans son pays quand les toutes jeunes filles ont vu leur premier sang, des fleurs qui ne durent pas mais maintenant elle a leur entêtement dans les cheveux mêlé à celui des coques écrasées et des chaumes et à celui des onguents qu’elle fabrique pour la peau et le sommeil, toutes senteurs de fenil et de blé trop mûr mêlées à celles de son corps et du corps tenu dans l’intérieur jusqu’à l’écœurement tandis qu’ils dansent dans la cour de la ferme, elle n’a pas encore assez parlé de cette odeur, c’est l’été, au domaine des Grandes Futaies on célèbre la noce et les moissons, lin camomille silène, elle étouffe s’échappe va marcher en bordure des champs pour activer le sang, donner à respirer à sa part d’ombre qui en veut toujours plus, camomille coquelicot silène, besoin de la fraîcheur des arbres tant l’été rameute les arômes exacerbés des fleurs et le piquant des sueurs d’hommes en attente de se coucher sur le corps des femmes qui attendent                      ça doit arriver              tout est là 

ce texte en écho au précédent, un peu plus loin dans le temps dans l'effort de poursuivre le travail entrepris même si grande envie d'incartades ailleurs...

 

Photographie, ©Françoise Renaud – jardin d’apothicaire, juin 2023

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

17 commentaires à propos de “#été2023 #07bis | lin camomille silène”

  1. On vogue dans l’effluve de cette phrase, on se laisse emporter jusqu’à
    « donner à respirer à sa part d’ombre qui en veut toujours plus »… J’aime!

  2. j’ai hésité à fragmenter comme dans le texte précédent avec la proposition de rythme long/court/long court enpruntée à Bertrand Schefer et puis finalement non, tout d’un tenant, happée par cette journée particulière
    merci Solange d’être passée…

  3. Sous, dans la douceur (silene, soleil et tout l’entrelacis de plantes et de regards) il y a une sorte d’épine, une dureté sèche, la vie, le « ça doit arriver ») merci

  4. Ce n’était donc pas le moment de l’incartade ailleurs ! Beaucoup aimé, dense, riche, plein. J’ai aimé la vérité sans enjoliver des sensations de cette femme « le corps lui pèse » – tandis qu’elle cherche les prénoms. Elle me parle ta dominante de prénoms masculins, jusqu’aux corps des femmes qui leur sont presque « dus ».

    • je cherche encore à découvrir cette femme à qui je n’ai pas encore donné de nom, je sais juste qu’elle est l’épouse de Jude à un moment donné,et la mère de Siméon, ça aussi c’est acquis… ensuite elle est la dernière après trois frères et sa vie s’est glissée là où elle a pu.. alors je la cherche
      merci Nolwenn de ton écho…

  5. Très belle et longue phrase où tout un monde se tisse en sensations, coutumes, arômes avec la venue prochaine de Siméon « bientôt prêt au glissement vers le monde ». Superbe.

    • il me faudrait écrire un troisième panneau sur cette proposition autour du corps, une #7ter en quelque sorte, autour de la douleur peut être ou de la délivrance, où je pourrais aborder la naissance de Siméon…
      à mettre en chantier…

  6. Oui, on se laisse emporter par cette longue phrase, longue comme une attente en état de grâce, et c’est très beau ! Merci, Françoise !

  7. Tout est beau, et ce dernier passage… qui signe la séparation imminente des corps et en filigrane leurs retrouvailles dans les relevailles. L’intimité devient encore plus difficile à écrire… « on célèbre la noce et les moissons, lin camomille silène, elle étouffe s’échappe va marcher en bordure des champs pour activer le sang, donner à respirer à sa part d’ombre qui en veut toujours plus, camomille coquelicot silène, besoin de la fraîcheur des arbres tant l’été rameute les arômes exacerbés des fleurs et le piquant des sueurs d’hommes en attente de se coucher sur le corps des femmes qui attendent  »
    Je ne suis pas fan des textes trop compacts mais celui ci peut rester comme un petit morceau de levain dans la pâte finale de ton roman, qui aura forcément des respirations.

    • merci pour ton regard, Marie Thérèse
      encore bien du temps et du travail avant d’en arriver à la phase d’assemblage ou d’écriture d’un ensemble qui bien sûr alternera dans les rythmes et pourra conserver des médaillons de ce type, bâtis dans le compact…
      en tout cas ça donne envie de poursuivre, de développer cette vision pour mieux construire…