Fenêtres sur courts-circuits

1  Finalement non elle décida que non errant dans les pièces à moitié vides et se retrouvant ici ou là devant telle ou telle fenêtre qui faisait un rempart contre le monde rempart dont elle n’aurait voulu à aucun prix mais abolir les séparations et se retrouver dans le froid et sous la pluie se disait-elle tout en repositionnant un morceau de scotch délimitant deux parties de son petit chantier de peinture à l’abandon et même le bruit de l’ongle grattant une pellicule collée à proximité sur la vitre retombait à vide dans l’épaisseur d’une lassitude globale d’abandon du sursaut qui l’avait amenée là à se coller le nez sur l’extérieur encadré et mis en valeur quand bien même taché et guère moins irréel que le côté où elle se trouvait face contre vitre avec vue sur la chevelure des arbres la précieuse pour seule présence vivante dirait-on avec celle de la fleur de cactus venue au monde dans la nuit dont elle scrutait maintenant la perfection révélée en se rehaussant légèrement  sur un pied et prenant appui des deux mains sur le rebord de l’évier tendant le cou pour l’avoir en plein dans son champ de vision et alors s’amouracher d’elle sachant que c’était sa journée son unique jour de vie à celle-là et qu’il fallait fêter ça à l’intérieur comme à l’extérieur annonçait-elle tout haut en s’adressant à l’ange séparateur transparent froid et silencieux qui lui faisait face

2 aussi froid que lorsqu’il lui avait dit sauve-toi tu n’as rien à faire ici et pas besoin de chercher à le raisonner dans ton esprit arrête de salir ma surface qu’il nettoiera avec son acharnement coutumier sois ton souffle penché vers le vide au travers moi tire-toi inutile d’aggraver la situation ton front posé sur mon étendue a parlé redresse-toi prends l’essentiel et franchis le seuil tu m’as assez respiré transpercé tu as suffisamment répandu de ton haleine humaine humide chaque fois que tu t’en approchais non armée d’un chiffon à me faire revenir à moi conception immaculée d’origine découpée même pas double mais ces immeubles sont vétustes et lorsque le vent les bouscule je tremble de toute ma surface retenue je me gonfle et je fais peur à tout le monde je te parle  ho réveille toi sors de ta rêverie interplanétaire inutile laisse ton corps agir agiter la colère contre celle des dieux bouge je suis ta fenêtre ton soutien ton voyant protecteur ton abîme amical et reposé ta vision du monde imagé ton interface depuis toujours la contemplation méditative de ton intérieur extérieur

3 contre laquelle il plaque délicatement sa raclette avant de la tirer vers le bas et venir l’essuyer de l’autre main armée d’un chiffon et chacun de ses gestes est précis et méticuleux alors que de l’intérieur elle le regarde faire sans le voir tout en maniant l’éprouvette mentale à la pêche des mots et c’était comme si son acharnement tranquille à respirer la surface des vitres avait pris corps là-bas derrière en la personne de celui-ci qui maniait la raclette à la perfection comme tout le peu qu’il daignait faire lentement de tout son être maigre et fort se dessinant se distinguant se refusant et se taisant comme un chien braillant de toute ses forces sa différence à la figure des autres les raillant hors de son tonneau sans les mots dont il fut dépossédé dans son enfance du simple fait du regard posé sur lui ou plutôt déposé et aussitôt retiré comme à la vue d’un tableau trop fort qui fait mal à quelque chose qu’on ignore de soi lorsqu’il le tableau ou l’être est seulement entraperçu au travers de sa vitre à soi conforme épaisse celle de la cécité obéissante et adaptée à ce monde ce monde qu’elle pressentait voir plus tard comme si elle avait alors reçu la capacité de le percer à jour avec la force mystérieuse d’un jeune âge et l’exerçant au travers la vitre de sa chambre d’enfant donnant sur l’allée des garages et le peu de voitures de l’époque la loge du gardien et les plates-bandes garnies de fleurs diverses dont elle ignorait les noms à l’époque mais n’avait pas besoin des noms pour comprendre c’est à dire prendre dans une espèce de totalité à travers la vitre au dessus de laquelle elle se penchait et c’était comme respirer ailleurs ou mettre sur pause et sortir de son corps

4  qu’est-ce que tu fais là derrière ta fenêtre il va rentrer ça ne sert à rien de rester plantée là à regarder ça va pas le faire surgir sur le trottoir où tu te crèves les yeux maman tu n’as aucune raison de t’inquiéter et tu devrais savoir à force Elle est derrière le voilage qui ne la cache pas elle et son angoisse pour ce rejeton sauvage elle devant la vitre du salon où le père a installé son bureau elle la mère s’obstine à vouloir le faire revenir par le seul fait de son regard au travers la vitre et le va et vient des voitures de l’avenue du maréchal Foch tous ces noms de guerriers qui ont sauvé nos pays nos Pays et le fils qui ne rentre pas qui ne fait pas sa soudaine et soulagée apparition qui mettrait fin à l’angoisse de son manque à elle la mère qui se transformera lorsque la mince silhouette se détachera de toutes les autres pour ainsi dire miraculeusement et sera là comme en gros plan derrière la vitre se muera en colère après lui de l’avoir fait attendre maintenue elle derrière cette vitre mais naturellement la colère de l’après soulagement intense il est vivant le monde l’a recraché le lui a rapporté de derrière la vitre comme chaque jour de la semaine à l’heure de la sortie d’école où tous sont rentrés sauf lui resté avalé par la rue de derrière la vitre et ça ne sert à rien de le lui dire et de s’en retourner vaquer à ses occupations avec une compassion grandissant avec l’âge pour cette histoire de mère de derrière la vitre

5 porte-fenêtre sur cour faisant face à l’intérieur du salon à porte-fenêtre sur rue dans un chassé croisé lent et désemparé après qu’elle ait raccroché le téléphone pour un bout de temps et marché dans ce long en large habituel englobant des arrêts à chacune des deux fenêtres et plongeant un regard sans voir sur la vue c’est beau cette porte-fenêtre sur cour en réalité sur jardin rendu expressif ou plutôt conciliant dans un conciliabule homme- nature conversation silencieuse son seul regret les iris qui se sont envolés pensait-elle après toutes ces années emmagasinées dans une routine entrecoupée de coups jusqu’à ce qu’elle puisse approcher la table devenue au fil du temps de travail devant la porte-fenêtre sur jardin pour respirer par dessus ce contenu d’années encaissées et se tenir là probablement à faire poétiquement les comptes sur la table rouge devant la porte-fenêtre donnant côté jardin les comptes d’une vie austère mine de rien de poésie dûment compressée à l’intérieur agglomérée aux restes de ce que le monde apporte et laisse de déchirures et de démolition contre lesquelles il convient de lutter pour rester vivant à l’image de ce jardin s’exhibant de l’autre côté de la fenêtre de la porte-fenêtre sur cour qu’il suffit de franchir du regard pour y trouver refuge tout en sachant pertinemment que la solution du problème se trouve de l’autre côté du côté de la porte-fenêtre sur rue que l’on a beau fixer du regard il ne s’y passe rien que le va et vient des voitures toujours plus fort au fil des ans et les sorties des uns et des autres le long de l’allée commune jusqu’au carrefour où se jette la rue vue de la porte-fenêtre côté monde

6 tu fais le tour et tu passes par la porte de derrière l’homme de la porte de derrière qu’elle regardait venir à travers la vitre de la porte de derrière et alors rien toutes ces vitres pour en arriver là c’est à dire nulle part au double vitrage de la porte de derrière qui donnait aussi plein pot sur le saule pleureur et ça c’était quelque chose autre chose que l’immeuble et la vue sur les garages et la maison du gardien et alors juste il allait falloir dégager de la vue de la chambre sur le saule pleureur et aller voir ailleurs et où ça c’était pas écrit sur le front ni dans les lignes de la main ni dans la bouche de l’homme de la porte de derrière qu’elle voyait venir à travers la vitre traversant le jardin ouvrant sur la porte à double vitrage la seule de la maison donnant sur le jardin avec vue au réveil directement  sur le saule pleureur et le monde jusque là inutilement percé à jour dans la solitude au travers des vitres de toutes les fenêtres déroulant leurs souvenirs faussement tranquilles du fin-fond de ses intestins jusqu’au pied des racines emmêlées du saule pleureur pensait-elle en croyant le voir encore une fois venir du fond du jardin en ligne droite vers elle regardant par la porte-fenêtre de la chambre donnant directement sur le jardin de derrière harmonieusement disposé comme pour saluer leur prochain départ