gestes&usages #05 | derrière la porte

Derrière la porte

Qu’on ne pousse pas tout de suite

Hésitation parce que c’est neuf

Et une seconde de courage à prendre

Parce que c’est inconnu

Soit deux secondes de battement

Dans la main, creux de la paume sur la poignée, au rythme du pouls

L’œil vérifie que c’est bien son nom sur la porte

Son nom à lui

On entre, il la voit tout de suite, elle

Immédiatement est éclairé par elle

S’anime

Mais il ne me reconnaît pas

On s’assoit à côté de lui

Elle sur le lit et moi en face

Les bras sur la table à roulettes qui sert pour les repas

Elle lui explique comment incliner son fauteuil avec la télécommande

Comment lever le repose-pied

Elle est penchée autour de lui

Et le fil noir enroulé enroulé enroulé qui s’étire et se rétrécit

Caoutchouteux et doux de la télécommande

Est comme elle

Avec ses ronds consolation

Il se gratte la peau au-dessus de la branche de ses lunettes

Alors elle file dans la salle de bain

Très vite

Comme s’il allait lâcher pendant ce temps

Et je lui parle, moi aussi comme si, pour le tenir

Elle revient avec de la crème

Une noisette dit le mode d’emploi

Masser par des gestes circulaires jusqu’à pénétration

Lavez-vous les mains

Elle ne masse pas elle caresse

Elle ne se lave pas les mains pour ne pas mettre de froid entre eux

Que sa peau à lui reste tiède

Elle dit ça va ?

Il ferme les yeux comme un enfant

Deux secondes où il est

Fresque enluminée

Christ d’icône orthodoxe

Doré et plein

Mort heureux

Visage qui vient de naître

Elle dit ça fait du bien mon ptit papa ?

Il dit oui

Ses yeux ouverts s’en vont sur les côtés

Une glissade de flou les prend

Ses yeux bleus

Fixent un point extérieur à tout

Elle lui parle des grandes marées

Il dit ah oui

Elle demande qui t’a coupé les cheveux

Taillé la barbe ?

Quelqu’un il dit.

Elle prend le plaid pour l’étaler sur ses jambes

Ses genoux

Et arrivée aux pieds elle dit tes ongles

Il faudra les couper sinon ça va être des crac crac de serres d’aigle par terre

Elle lui tient la tasse pour qu’il boive

je me souviens de lui sur une photo

le torse nu et musculeux

assis sur l’herbe aux coquelicots

tenant un gobelet près de sa bouche à elle, bébé

Cette inversion des gestes répétés

Qui font boucles

Des cercles à mettre autour des gens

Ceux qu’on aime

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