Grande célébration

Tout à côté du grand mur de gauche, il est peut-être le seul pour qui ce serait la première fois, alors il regarde beaucoup autour de lui, voulant être sûr de faire les mêmes gestes que les autres. En position de s’appuyer au besoin au grand mur de droite, il croyait qu’il ne pourrait pas être là une nouvelle fois mais on l’a tiré de l’hôpital avant-hier et on l’a persuadé qu’il aurait la force. Il se demande s’il n’a pas oublié les gestes, de temps en temps il jette un coup d’oeil sur sa gauche pour s’assurer. Le grand frère s’agace un peu de cette tête qui regarde tout autour d’elle vers le haut. On ne serait pas là, on ne serait pas dans cette circonstance, sa voix rauque rappellerait à l’ordre le petit frère. Lui, il arrive à imiter le visage tendu et le regard absent de ceux qu’on considère ici comme les plus pieux. Le fils aîné s’inquiète pour son père. Il a cru percevoir un vacillement, au moment des génuflexions les plus acrobatiques. Il a même esquissé un étirement de son bras droit pour retenir une possible chute mais le geste n’a pu être aussi déterminé que d’habitude, vu les circonstances, et force est pour lui de reconnaître maintenant que son père n’en avait pas besoin. Tout à côté du grand mur de gauche, il est peut-être le seul pour qui ce serait la première fois, alors il regarde beaucoup autour de lui, voulant être sûr de faire les mêmes gestes que les autres. En position de s’appuyer au besoin au grand mur de droite, il croyait qu’il ne pourrait pas être là une nouvelle fois mais on l’a tiré de l’hôpital avant-hier et on l’a persuadé qu’il aurait la force. Il se demande s’il n’a pas oublié les gestes, de temps en temps il jette un coup d’œil sur sa gauche pour s’assurer. Le grand frère s’agace un peu de cette tête qui regarde tout autour d’elle vers le haut. On ne serait pas là, on ne serait pas dans cette circonstance, sa voix rauque rappellerait à l’ordre le petit frère. Lui, il arrive à imiter le visage tendu et le regard absent de ceux qu’on considère ici comme les plus pieux. Le fils aîné s’inquiète pour son père. Il a cru percevoir un vacillement, au moment des génuflexions les plus acrobatiques. Il a même esquissé un étirement de son bras droit pour retenir une possible chute mais le geste n’a pu être aussi déterminé que d’habitude, vu les circonstances, et force est pour lui de reconnaître maintenant que son père n’en avait pas besoin. Au cœur de l’assemblée, son mouchoir de tête émerge en rouge et brun, tantôt pointé vers l’inspiration céleste, tantôt rabattu vers les contingences terrestres. Les mouvements autour de lui des à peine plus jeunes que lui l’agacent et il se retient souvent pour ne pas lancer de regard furieux, il lui faut pour cela faire remonter en lui, tout en se rengorgeant, tous les conseils de sagesse reçus à l’école coranique et surtout pas la propre attitude du maître, quand la colère le prenait contre un des élèves. L’homme au grand boubou tabac est témoin de l’attention d’un fils pour son père, sur sa droite et il en est ému, il en essuie même ses yeux, lui qui a perdu son père il y a moins d’un an, qui était encore avec lui, ici même à la célébration de l’an passé, son émotion va jusqu’à lui faire oublier les paroles rituelles et introduire dans la gestuelle une langueur inattendue et peut-être inconvenante. Quand on est distrait, on ne s’agace de rien, ni des regards fureteurs des plus jeunes autour de soi, ni des gestes maladroits qui viennent effleurer parfois son propre boubou. On est caché derrière le petit sourire permanent de son visage, on a la tête ailleurs, on l’a laissée au petit campement peul où il y a cette si belle Aïssatou et on se dit que, si la grand célébration ne dure pas trop longtemps, on pourra même se donner l’occasion de retourner là-bas, avant le coucher du soleil. Mais quand on commence à douter, on remarque tout chez les autres et tout revient vers soi avec sa charge de questions pour soi. Il suffit de voir un fils attentif à son père et on se demande si l’on a bien tout fait pour le sien quand il en était encore temps. Il suffit de voir un homme attentif à celui qui est attentif à son père et l’on se demande si l’on n’oublie pas trop souvent de regarder autour de soi. On saisit alors toute occasion donnée par les gestes de la prière pour regarder à droite, à gauche, devant en oblique et même parfois un peu au-dessus de son épaule, en arrière.