Histoire d’eau

D’un point de vue littéraire il est le symbole de ce qui est profond, mystérieux, impénétrable.

Du point de vue de ma fenêtre il est rond décoré par une jardinière de fleurs posée devant sa protection obligatoire constituée de planches de bois, deux horizontales et quatre verticales. De chaque côté deux énormes blocs de pierre jaune soutiennent l’édifice. Une poutre ronde en bois est encastrée entre ces deux blocs sur laquelle est enroulée une chaîne rouillée reliée à une manivelle. Sa coiffe est également un énorme bloc de pierre arrondi de 30 centimètres d’épaisseur qui disparaît en partie sous une couronne de clématite. Un mur d’une hauteur de quatre briques emboîtées en mosaïque repose sur le sol et en fait le tour.

Du point de vue de l’architecte il y a un manque évident de perspective imagée et de termes techniques dans cette description.

Du point de vue de Placide la chatte, ce monument historique n’est pas explorable car impénétrable. En ce sens elle rejoint le point de vue littéraire.

Du point de vue de ma fenêtre cette apparence partielle est le seul témoin extérieur de l’ancienneté de cette ferme restaurée.

Un puits c’est un mur arrondi qui monte d’un trou creusé dans la terre ou si vous préférez une tour de château qui descend dans la terre au lieu de monter vers le ciel. En préalable à sa construction, on fait appel à un sourcier. Il arpente le terrain en tenant des baguettes et si elles tournent l’eau est là. Mon père est sourcier.

C’est ça la vie, tu fais trois pas et ça change tout. Le puits est rond, rond de briques et de pierres, rond simple et compliqué.

Les branches de noisetier il les a coupées, deux petites tiges. Elles sont le guide de l’eau, celle qui coule sous la terre, celle qui jaillit sous ses pas, celle qu’on ne sait pas.

Il y a des fois on a chaud à ne rien faire. Les tiges elles tournent, il y a de l’eau ici. Sa mère est morte, ils ne se parlaient pas. Ils n’étaient pas fâchés je crois, ils n’avaient peut-être rien à se dire à voix haute. Ils se parlaient peut-être sans la voix, je ne sais pas. Sa mère est morte, elle brodait toute la journée derrière la fenêtre de sa chambre, celle où je suis née.

Quand sa mère est morte, il a acheté des pendules, a coupé les tiges de noisetier, a fabriqué des baguettes de cuivre, il a marché, gratté la terre dans les champs labourés, rempli les armoires de cailloux, il a senti les fissures, les frissons du sol, les ruptures des collines, il a entendu le chant de l’eau.

Les archéologues l’ont appelé, il leur a dit les profondeurs des fossés, les vibrations des dolmens. Sa mère est morte, ils ne se parlaient pas avec la voix.

Le puits et sa solitude provoquent la curiosité de l’abîme.

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.