Il était une ville

C’est une étrangère dans le pays où elle est née. Sa mère s’y est arrêtée quelques années, mais elles ne sont pas d’ici. Elle a un nom qui est d’ailleurs, une couleur de peau différente et d’autres nationalités, d’autres langues. La mère est trahie par les mots qui sortent de sa bouche, mais la fille, elle peut donner le change. Elle peut se fondre dans la masse et faire sienne une ville qui est la leur même si étrangères.  

C’est une ville riche, à la beauté légendaire. S’il fait trop froid en hiver pour traîner dans les rues, chacun a une adresse où aller. Quand les longues soirées d’été poussent les habitants hors de leur maison, on flâne dans les allées verdoyantes, on promène son chien en bord de canal. Les voisins entretiennent leur intérieur comme leurs enfants. Ici on est fier de n’avoir rien à cacher. On évite les rideaux et on met en vitrine ses dernières acquisitions. Une ville riche qui n’a pas encore dit d’où venait l’argent.

C’est une ville ouverte sur le monde, un port. Un peuple de voyageurs, toujours prêts à prendre la mer pour découvrir d’autres cultures. Une ville tolérante, la capitale de l’acceptation, crie-t-elle au monde, à la pointe de la modernité, un modèle pour les autres. On peut y marier des personnes du meme sexe depuis des décénnies. Pourtant, il y a dans cette ville des écoles blanches, des écoles noires, il y a ceux qui savent et les autres. 

C’est une ville faite d’hommes, elle prend soin de ses habitants. Pourtant, elle est à l’image des gants que le policier retire avec dégoût, quand il a délogé le mendiant qui s’abritait sous le pont. Cet homme est malade pourrait-on protester du bout des lèvres, ne le secouez pas ainsi- Non, rectifiait le policier, il prétend. Il ne nous laisse pas l’aider. Les pleurs avaient cessé à l’écoute de ces paroles. C’est une ville qui sait reconnaître quand on prétend. 

C’est une ville aigre-douce, qui aime mélanger les saveurs. Les nationalités s’y empilent, mais ne se rejoignent guère. On est là pour un an, dix ans, et puis on repart. On fréquente des personnes de sa nationalité ou d’autres étrangers, on appelle ça faire communauté. C’est une ville où il fait bon vivre, même si les voisins qui coupent leur gazon au ciseau, regardent d’un mauvais œil le mendiant qui construit un abri au bord du canal. Il va profiter de cette vue gratuitement alors que nous payons des millions.  

C’est une ville égalitaire, qui se targue de traiter hommes et femmes de la même manière, du moment qu’on suit les règles. C’est vrai, les putes comme les clodos sont traités avec la même indifférence. Ils font partie du tableau, mais on a glissé une vitre entre elles et nous. On a fermé la fenêtre pour ne plus entendre leurs pleurs. Et puis, un cadavre est remonté à la surface, samedi matin. Les rameurs du club d’aviron ont donné l’alerte, la police a bouclé le périmètre de rubans en plastique. Ils ont planté une tente autour du banc où le mendiant dormait. Circulez, il n’y a rien à voir, pas d’inquiétude à avoir. Reprenez vos vies, allez faire les courses, prenez un verre en terrasse, faites un tour de bateau, c’est l’été, il faut en profiter. 

C’est une ville merveilleuse où on a le droit d’être différent, tout le monde s’en fout.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

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