et mes yeux fermés pendant deux minutes ou plus peut-être

la marque de la poignée de ton fauteuil sur ma paume gauche,
le skaï rouge collé sous la chair de mes cuisses,
les piles éternelles de magazines périmés,
les mouches à compter sur le lino désinfecté,
ma vague idée du soleil à travers le store crème,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
la dame en blanc et ses chaussures en plastique rose.

les gros escargots fourrés ail beurre persil en entrée,
le dessin animé avec neige traîneau cheminée sur la 6,
le ficus qui clignote en vert et bleu,
les strass sur le devant de ton pull rouge,
trop d’attente entre les plats,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
la carte dorée et le billet de cinquante (j’espère).

le sac à chips sur le siège avant droit,
le café acide de la machine à côté des toilettes,
les gros camions roumains qui se doublent (toujours) entre eux,
le brouillard à couper les sapins du Jura,
les mecs qui tentent l’humour à la radio,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
péage à vingt-six euros vingt.

la porte automatique à horaires qui s’ouvre seule,
le grand tapis moquette qui dit bonjour en gris,
le carrelage à carreaux blancs lavé avant ouverture,
la porte automatique qui s’ouvre si on reste sur le grand tapis moquette,
le plastique couches, le carton dentifrice, le verre-boîte à pisser, maigrir, dormir,
mon axe fémoral et mon axe tibial qui se bloquent entre eux,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
devoir recompter le nombre de boîtes à douleur.

la grande culotte de nuit dans le tiroir à tapisserie fleurs,
le produit moustique qui pique sur les boutons déjà grattés,
la couverture rose qui gratte le cou et chauffe trop les pieds,
ta main droite sur mon ventre qui chante en pétarade,
le matelas qui fait des pointes sur les côtés au bout d’un moment,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
l’heure du jardin.

les quatre chiffres du code d’accès 24/24 et 7/7,
les lys blancs qui embaument l’entrée,
les deux hommes en bleu qui parlent trop fort,
les strass sur le devant de ton pull rouge,
le tissu lilas dans ta grande boîte en bois,
et mes yeux fermés
pendant deux minutes ou plus peut-être
jusqu’à
la visseuse électrique sans fil qui referme ta grande boîte en bois (pour toujours).

A propos de Charlene M. Rigaud

Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds Touriste.