#L3 | Diffraction

Dans la chambre au-dessus d’elle, l’homme est assis à la table en formica, face à la large fenêtre rectangulaire. Son pc est posé sur la table. Il vient de repousser sur le côté les restes d’un repas qu’il s’est fait livrer. Quand il séjourne ici, c’est-à-dire deux fois par mois et une à deux nuits d’affilée maximum, il se fait toujours livrer le même repas, du porc aigre-doux, du même traiteur chinois. Une télé est accrochée en haut du mur et le surplombe. Il a replacé le pc devant lui. Il regarde vers la fenêtre. Des ombres qui se meuvent à l’étage qui fait face à sa chambre attirent son attention. Il se lève et s’approche de la fenêtre. Deux hommes discutent, la conversation semble véhémente, l’un d’eux, derrière son dos, pose la main sur un objet se trouvant sur un bureau, sa main se crispe, elle serre l’objet. Il se retire dans la pénombre pour ne pas être vu. De là il regarde furtivement les autres immeubles d’en face et se dit qu’il y a encore pas mal d’activité et de mouvement. Il regarde l’heure, il est 22h30. On bosse de plus en plus tard de nos jours, se dit-il. Déjà il a oublié la scène impliquant les deux hommes. La proximité des immeubles d’en face l’oppresse, il regarde vers le haut, on ne voit même pas le ciel, ou à peine. Il entend le bruit d’un train, il a juste le temps de regarder vers le bas pour voir le train pénétrer dans le tunnel, ça dure une fraction de seconde. La ville, décidément, c’est pas son truc. Le silence est revenu. Il déteste le bruit des trains. Il se demande comment des gens peuvent habiter à proximité d’une voie ferrée ou d’une gare. Il se rassied devant son pc, il a un article à terminer et à faire parvenir. Demain il sera tôt sur la brèche pour assister à la suite des débats, mais son article, il pourra l’écrire de chez lui. Loin de la ville.

Dans la chambre en dessous d’elle, un homme et une femme sont couchés sur le lit, ils viennent de faire l’amour. Ils ont tiré la couette à eux pour ne pas se refroidir. Leurs vêtements jonchent le sol, lui se dit qu’il devrait prendre un peu plus soin de ses habits, car ce costume de drap fin lui a coûté bonbon mais dans ces moments-là c’est le cadet de ses soucis. Il aperçoit la télé accrochée en haut du mur qui fait face au lit et essaie de se remémorer où il a déjà vu des télés fixées au mur de cette façon. Mais oui, c’est dans les hôpitaux, pour que les malades puissent regarder la télé sans avoir à se redresser dans leur lit. Il tourne les yeux vers sa compagne qui a l’air de dormir mais au moment où il esquisse un geste pour se saisir de la télécommande posée sur la table de nuit de son côté à elle, elle ouvre les yeux. C’est à cet instant qu’il se rend compte qu’ils n’ont pas baissé le store de la large fenêtre rectangulaire qui donne sur l’immeuble d’en face. Par chance, se dit-il, l’étage qui fait face à leur chambre est plongé dans l’obscurité. Il se dit qu’il doit s’agir d’un immeuble de bureaux, tous probablement vides à cette heure. L’horloge digitale de la télé affiche 22h30. Un grondement se fait entendre, tout proche, ils se regardent intrigués et le bruit s’est déjà envolé lorsqu’ils se rendent compte qu’il s’agissait d’un train. Ils ignoraient que la voie ferrée passait en dessous de l’immeuble qui abrite l’hôtel. D’ailleurs ils ne connaissent rien de la ville dans laquelle ils se trouvent et encore moins du quartier où se situe l’hôtel. Leur rencontre est due au hasard, tout comme le choix de l’hôtel, si toutefois il peut être question d’un choix dans ce genre de circonstances. Demain, ils repartiront chacun d’où ils viennent et ne se reverront probablement jamais.

Dans la chambre à sa droite, porte d’entrée à gauche de la sienne, une femme énervée marche de long en large dans la chambre, enfin si on peut dire car en trois pas elle a couvert la distance qui va de la porte d’entrée, en longeant le lit, jusqu’à la large fenêtre rectangulaire. Elle est dans cette ville pour affaires et doit en principe y séjourner trois nuits. Celle-ci est la deuxième. Elle regarde l’heure à l’horloge de la télé fixée au mur, il est 22h30. Elle s’approche de la fenêtre lorsqu’elle entend le bruit d’un train qui s’engouffre dans le tunnel, elle a tout juste le temps de l’apercevoir. Relevant la tête, elle regarde l’immeuble d’en face sans le voir et donc elle ne voit pas, dans l’espace éclairé, les deux hommes qui ont une discussion véhémente, elle ne voit pas l’homme qui pose la main derrière lui sur l’objet se trouvant sur le bureau. Depuis tout à l’heure elle essaie de joindre son mari au téléphone, mais il ne répond pas. Elle est certaine qu’il la trompe. Elle reprend son téléphone et tente un nouvel appel, en vain. Quand elle a vu le couple dans l’ascenseur, lui, la cinquantaine, costume coûteux, tiré à quatre épingles, elle, vingt-cinq ans tout au plus, jean et baskets, elle a eu envie de vomir en pensant en son mari. Si ça se trouve, il fait pareil que l’homme au costume coûteux en ce moment-même. Elle continue de faire les cent pas. Elle étouffe dans cette chambre de trois mètres sur trois. Elle saisit les quelques affaires qu’elle avait sorties de la valise et les lance en direction de celle-ci. C’est décidé, elle rentrera demain dans l’après-midi, peut-être parviendra-t-elle à le surprendre ou à en apprendre plus sur les activités auxquelles il se livre en son absence.

Dans la chambre en face de la femme qui croit que son mari la trompe, un homme vient d’entrer à la suite d’un repas bien arrosé. Il s’est laissé tomber sur le lit. Il n’a rien vu, rien entendu, black out total.

A propos de Catherine K.

Mon nom complet est Catherine Koeckx (prononcer Kouks). Citadine depuis toujours mais avide de nature et de grands espaces que je partage par la photo ou l’aquarelle (www.catherinekoeckx.be), je suis aussi passionnée par la ville (@bruxelles_autrement). Bruxelles mais pas que... J’ai publié Le Guide lovecraftien de Providence en 2021 (disponible sur Amazon.fr ou sur commande privée). Je viens de lancer mon blog littéraire Itinéraires pluriels (https://itinerairespluriels.wordpress.com).