#L5

EXPANSION d’après Sentimenthèque

En lisant les romans de Maylis de Kerangal, elle s’émerveille de ces listes d’adjectifs qui en agacent tant d’autres… elle prend des notes, vérifie le sens de ce vert céladon, de ce rouge andrinople …et qu’est-ce qu’une plante rudérale ?. Dictionnaire encore ; elle ne mémorise pourtant pas grand chose de tous ces termes que d’aucuns jugent abscons, et qu’elle trouve simplement beaux. Elle les dit à voix haute, s’en gargarise sans les comprendre tous. Elle se demande où l’auteur trouve ces vocables chantants, inconnus au point de laisser libre toute interprétation, toute imagination. Dans La Naissance d’un Pont, il y a une jungle de tous les verts, un héros de toutes les masculinités, un chantier de tous les dangers, des mirages et des rêves, perdus, retrouvés, infinis, toujours qualifiés, toujours extrapolés. Dans Un Monde à portée de main, c’est de matières qu’il s’agit, et là, la main s’agite au fil de la lecture, effleure le stuc, caresse le marbre, s’émerveille du rendu des trompe-l’œil. Les envols que ces mots autorisent la laissent sans voix.

Elle réfléchit. Où donc a-t-elle déjà entendu ce mot ? Ah oui, dans la bouche de ses élèves qui, pour ‘écrire du rap’, lui avaient réclamé un dictionnaire de rimes et allaient y chercher les mots les plus merveilleux, de préférence les plus longs aussi, ne se souciant alors que de la sonorité finale, y dénichant le rythme souhaité, négligeant sans barguigner le sens, approchant alors d’un surréalisme involontaire, un peu à la manière de ces peintres de l’art brut dont les visions confinent à la rêverie souvent cauchemardesque, parfois enchanteresse…

Dans sa gratuité, la délectation du langage se fait pleine et entière, le mot n’est plus nécessairement porteur de sens mais seulement porteur de sa propre beauté, de sa propre perfection. Elle jubile de disposer d’un tel outil, se plaint de l’utiliser mal, ne désespère pas de progresser. Et soudain jaillit une autre langue, riche elle aussi, pleine de mots beaux et réjouissants, et elle compare, elle collationne, teste le sens dans une langue puis dans l’autre, celle-ci va mieux, celle-là le dit mieux. Plus de système de valeurs, pas de langue meilleure, juste des mots-sensations qu’elle préserve en son sein, qu’elle garde jalousement, qu’elle donne parfois à certains, qu’elle offre au papier, au clavier de l’ordinateur.

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