#L7 Comment m’en sortir ?

Emil Zatopek

1- Où j’en suis

Le personnage principal est arrivé en Guyane venant de France via la Martinique où il est allé chercher de la main-d’œuvre pour l’habitation de son beau-frère Charles-Henri, située dans le marais de Kaw. Parmi ces ouvriers, Xao un chinois qui est son second. Il a laissé son épouse enceinte Hélène, sa belle-mère Mathilde inquiète pour son fils et va retrouver ce beau-frère bien mal en point dans une habitation où tout est à reprendre. A Cayenne, il rencontre dans une réception Claudette qui arrive pour diriger le magasin de chaussures Bata. Il apprend là la vision très négative qu’ont les colons de ce pays qu’ils rêvent tous de quitter au plus vite. Claudette est plus positive, mais c’est la seule.

Mon personnage principal ne connaît rien ni à la Guyane ni à la culture de la canne, mais il lit des livres techniques et des romans. Il se sent investi d’une mission : remonter l’habitation et maîtriser ces terres noyées ; il est en même temps hanté par la solitude et les souvenirs de l’esclavage (en particulier par celui des nègres de pelle qui ont creusé le canal qui est la seule voie d’accès au fleuve Approuague, à la mer et à Cayenne. Il part à la recherche d’un habitant qui cherchait à se « procurer des voisins » dans un journal qui date de 20 ans. Il commence un journal où il consigne ses angoisses, ses lectures.

On est en 1920, la guerre qu’il n’a pas faite [il est né en 1900] [né en 1890 et réformé] l’affaire Dreyfus dont il a entendu parler et Jean Galmot avec qui son beau-frère était en affaires font partie de son paysage mental. Comme la montée en puissance de l’orpaillage sur L’Approuague.

2- Ce qui pourrait se passer

Déjà changer mon titre : l’obsession, c’est la mienne, pas l’affaire du livre : trouver un autre titre : un monde nouveau ? A trouver !

Dans la première partie [1920-1935]
Mon personnage après bien des entreprises ratées [creusement de canaux, améliorations hydrauliques, plantations canne-manioc, échec de la vente de sucre,] qu’il raconte régulièrement dans son journal puis dans des articles à des revues techniques d’agronomie tropicale,
– se tourne vers la photo [édition des cartes postales avec Claudette] et le journalisme d’investigation en Guyane et dans toutes les colonies [un Albert Londres, un Blaise Cendrars, un Joseph Kessel, un Francis Carco ou plus modestement un Jean Hess]
– devient secrétaire de la mairie de Cayenne, prend un emploi de fonctionnaire, puis on perd sa trace vers 1932 [Galmot est mort, Albert Londres suit les traces de l’évadé du bagne]
Charles Henri est rentré en France et vit à moitié fou dans sa famille en regardant couler l’Allier qui lui rappelle le fleuve Approuague, protégé par sa mère Mathilde. Il se noie dans la Loire.
Hélène a demandé le divorce et épousé un directeur de plantation d’Hévéa en Indochine où elle élève Benito.
Xao s’est établi à Cayenne comme commerçant.
Claudette a été nommée à Batavia grâce à son exceptionnelle réussite à Cayenne. L’entreprise Bata conduit un projet d’envergure en lien avec la mondialisation « chausser l’humanité qui marche pieds nus »https://fr.wikipedia.org/wiki/Bata_(entreprise)
Dans la deuxième partie [2020 – 2035]
Le petit fils de Benito [Florent], convoyeur de bateau [célibataire de 40 ans qui ne s’est jamais préoccupé d’autre chose que de faire du bateau] arrive à Cayenne où il a convoyé un bateau pour son propriétaire. Le confinement l’oblige à y passer plus de temps que prévu : il découvre un monde de gens de toutes origines, diplômés, passionnés : médecins, archéologues, botanistes, entrepreneurs de tourisme, des acheteurs d’or aussi. Ça ébranle sa vision du monde. Il part à la recherche des traces de son ancêtre, décide de se former et épouse une médecin d’origine algérienne. Ils écrivent ensemble un roman sur les colonies françaises.
Cette deuxième partie est là dès le départ [rencontre de convois de bateaux en Charente et une certaine fascination pour ce métier]. Nombreux problèmes à résoudre : où se forme-t-il ? à quoi ? De quoi vit-il ? Créer les personnages qu’il rencontre, ce qu’il fait avec eux ?

3- Qu’est-ce qui me pousse à écrire
Pas tant des émotions intérieures que des questions à poser, à mettre en lumière.


J’ai commencé par le plus grand des hasards alors que j’étais dans le marais poitevin par un jeu d’écriture autour des expressions contenant le mot eau [prendre les eaux, perdre les eaux, prendre l’eau, voguer vers d’autres eaux, pierre de belle eau, eau bénite, eau de feu…] qui se servait des explications sur l’hydraulique des marais. Des noms de Guyane Oyapock, Camopi, Amazone se sont imposées et Vichy, ville française emblématique d’une certaine conception de la France.

Une fascination pour le non-dit de la colonisation française. Tout le monde a dans sa famille [directement ou par alliance] des colons et personne ne se souvient, sauf à garder la nostalgie des temps bénis de la colonie. J’ai aussi beaucoup voyagé dans des ex-colonies au titre de l’aide au développement et l’oubli/reproduction des temps de la colonie me fascine. Personnellement, Martinique, Tunisie, Algérie comme colons ; Sénégal, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Burkina Fasso, Thaïlande, Guyane, Martinique.
L’esclavage et l’indemnisation des colons [dont on ne publie que deux siècles après les archives] sont le point emblématique de cette volonté d’oubli…tout en conservant les richesses produites.

Ces histoires de vie d’exil, de solitude, d’opportunités, d’échecs, les premiers reporters de la mondialisation aussi, premières entreprises mondialisées, transformation des communications. La réflexion sur l’exil et la solitude voulue ou subie est qqch qui m’intéresse. Que nous manque-t-il sans relations sociales, dans la solitude de l’exil, dans la solitude de la vie de célibataire, dans la solitude de l’enfermement physique ou mental ?

4- Les conditions matérielles

Je fais un gros travail de documentation [ce que j’adore et commence à accepter comme une nécessité incontournable de mon travail d’écriture]. Je n’ai rien à dire, me semble-t-il, de personnel qui puisse atteindre à l’universel sauf des banalités. J’aime écrire en me documentant, mais j’ai encore du mal à l’accepter, comme si tout devait sortir de moi.
Des incohérences déjà à corriger : le contingent de chinois qui n’a pas trouvé de travail en Martinique ce n’est pas 1920, mais en 1860, l’âge des personnages, réformé et non trop jeune). Deux types de documentation : généraliste (Wikipédia et autres encyclopédies) pour situer les grands mouvements ; retour aux originaux (Gallica, archives en ligne), le plus long et le plus prolifique.

Le plaisir des trouvailles de la documentation comme cet article d’un colon qui souhaite se procurer des voisins : un moteur.
Les affres de la documentation lorsque je m’aperçois que qqn a déjà exploré le sujet : les terres noyées de Eunice Richards-Pillot qui se déroule dans les habitations de l’Approuague au 18e siècle, Courir de Jean Echenoz qui raconte la vie du coureur Emil Zatopek et parle aussi de l’entreprise Bata. Des livres qu’il me faut lire pour ne pas refaire ce qui a été fait. Penser en même temps intertextualité et se réjouir des trouvailles.


Il faut que je trouve une forme pour introduire la référence à cette documentation, par honnêteté intellectuelle, par souci de cohérence. Sebald, Emmanuelle Pireyre, Élisabeth Filhol devraient m’aider.(Importance du dictionnaire lancé par François Bon au chapitre documentation et d’un échange sur Facebook à ce sujet.)
Cet appel à la documentation qui est ma forme naturelle d’écriture, j’ai envie de la faire apparaître clairement et j’entrevois comment elle pourrait m’aider à sortir d’une forme romanesque qui ne me convient pas. J’y arrive très bien dans des formes courtes, mais pas dans des formes plus longues.
Une forme qui soutiendrait la narration, mais la casserait en même temps l’ancrerait dans qqch de plus sérieux que des histoires de vie de mes personnages de fiction.
J’essaie une forme de chapitres complètement dédiés à des interrogations faites au narrateur. Voir si ça marche dans la durée…

Troisième problème avec la documentation : comment passer à la fiction ? Car je ne veux pas faire une biographie d’un personnage ou de personnages réels, mais condenser des questions autour de personnages fictionnels.

J’ai encore des problèmes avec qui est le narrateur. Plutôt un narrateur omniscient, mais encore des passages au JE [journal ? Lettre?] . Il vaudrait sans doute mieux que j’en fasse des articles de mon personnage.

https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2007-1-page-118.htm

Pas de fresque historique, pas de romance historiquement située, trouver une forme.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

4 commentaires à propos de “#L7 Comment m’en sortir ?”

  1. Formidable. Gros travail et clarté du (des) propos explicatif (s). Je suis admirative.
    Quelqu’un dont je ne me souviens pas a dit « le savon ne se lave pas lui-même ». Il me semble (modestement) que la forme à trouver pour concilier fiction/documentation/interrogations sur la (les) colonisation (s), l’exil, la solitude, l’intégration ou pas, etc pourrait être un personnage qui serait écrivain ou chercheur ou rien d’autre de particulier que vous parlant de tout cela. Autrement dit, mettre en scène ce que je viens de lire et qui me rend baba… Merci et je pense que tous ces personnages vont trouver leur maison.

    • Merci. En définitive mes deux personnages principaux deviennent écrivains (reporter pour l’un, archéologue -historien pour l’autre). Une piste mais qui ne résoud pas mon problème de forme.

  2. Holala ! Quelle clarté et quelle vision déjà ! Les enjeux engagés dans cette aventure Faire un Livre ne te sont pas inconnus, c’est sûrement un moteur qui permettra de ne pas se laisser déborder par les petites questions sans gravité de documentation. Je suis tellement loin d’avoir un tel « plan » que cela me semble impossible justement de faire livre. Merci beaucoup, Danièle, pour ta contribution, elle éclaire en même temps qu’elle illustre la consigne de François. 🙂