le double voyage | Mirages

J’étais dans le Gargano, patrie du Padre Pio, fière de ses innombrables portraits, tableaux, statues, de son odeur de sainteté perçue à des kilomètres à la ronde.

à Amsterdam, la ville des milles canaux, des mille vélos, des coffee shops, du gouda et des tournesols de Van Gogh.

à Moscou, dans le repaire aux murailles rouges du mage du Kremlin et partout ses portraits, et les matriochkas à son effigie.

à Xanthos, dans ses ruines écrasées par le soleil jaune, dans l’écoute de voix anciennes et la peur d’être changée en grenouille par la déesse Léto.

en sampan remontant le Mékong à la force tranquille, parfois dévastatrice, aux rizières nourricières sur ses rives et près de moi, Marguerite Duras, sa voix rauque.

à Altwiller en Alsace dite bossue, aux collines, prairies, vergers, forêts verdoyants et aux rivières paresseuses. J’étais chez moi, dans la musique d’une langue que je ne connaissais pas.

à Wasa, dans sa savane à perte de vue, sous un ciel de plomb, des girafes en bouquet, une lionne aux aguets, une harde d’éléphants, et les incantations du sorcier.

à Maroua, dans son marché aux mille senteurs, à la foule bariolée, femmes majestueuses, hommes immenses et rieurs et moi échevelée, petit radis rose perdu en ce bain de vie.

à Sein, en mer d’Iroise, en son île battue par les tempêtes, balayée par le vent, comme un radeau au bout du monde,. Avec elle je voguais vers l’ailleurs.

à Chinguetti, dans la ville de sables, ville sainte, riche de manuscrits d’astronomie, de philosophie, de mathématiques, de commentaires du Coran, de lettres roulées dans des bambous.

J’irais à Zanzibar, dans l’Océan indien, dans ses palais, dans l’odeur des épices et l’incandescence des perles, la fraîcheur de la palmeraie, la beauté de ses plages, la crainte de ses récifs.

à Dijon et ferais réserve de pots de moutarde, ce condiment se fait de plus en plus rare sur les étals.

à Ouessant, en mer Celtique, l’île sentinelle./ Qui voit Ouessant voit son sang. / Tranquille. J’ai vu Sein, je n’ai pas vu ma fin.

en Sicile voir les orangers en fleurs, ses églises baroques et ses bords de mer infinis et la ville de Vigatà chère au commissaire Salvo Montalban.

au Brésil me recueillir à Santos devant le cimetière vertical du roi Pelé et admirer le Pau-brasil, l’arbre emblématique du pays.

dans le Yuan-yang marcher le long des rizières en terrasses qui découpent les pentes raides et les admirer transformées en bassins dorés par le soleil couchant.

en Laponie au village du Père Noël et je caresserais ses rênes et je ferais la chasse aux aurores boréales.

à Prague, la ville aux mille tours et aux mille clochers, à Mala Strana je rendrais visite à Franz Kafka en son musée, j’entrerais dans sa vie et dans ses pensées.

à New York visiter le MET, le MoMA, et le Guggenheim Museum. J’irais me recueillir devant le Dakota building où John Lennon en 1980 a été assassiné.

à Oualata, en terre d’Islam, au rivage de l’éternité, ville de nomades, de griots, de poètes, étape de caravanes, ville fermée au regard de l’étranger.