vers un écrire/film #02 | le mépris est un plat qui se mange froid

Aux pieds de l’immense trapèze de pierres ocres, un homme en complet crème, borsalino noir, chaussures noires. Il est petit, écrasé par les marches monumentales et la lumière crue, la lumière coupante, la lumière cruelle du soleil. En arrière-plan des pins parasols, des cyprès, l’émeraude profond de la mer tyrrhénienne. L’homme au borsalino monte quelques marches, lentement, il regarde autour de lui. Y a t-il quelqu’un, quelque chose à voir. Il crie son nom. Camille. Il continue à grimper les marches, vite, plus vite, arrive au sommet de la pyramide rouge, avance sur le toit terrasse de la villa Malaparte agrippée sur la falaise comme un courageux paquebot à l’assaut des vagues, du temps, de la mort, de l’immensité du ciel. Il est seul dans ce paysage de carte postale, seul comme l’est celui qui ne se sait plus aimé. Il contourne le mur, s’arrête. Elle est là, allongée sur la terrasse de pierres chaudes, elle prend un bain de soleil, elle est nue, son front appuyé sur ses avant-bras repliés. Un polar de la Série Noire posé en équilibre sur la rondeur de ses fesses. Le mur écaillé, lépreux, sale, derrière lequel elle est venue se réfugier chuchote le lent délitement de leur amour. Il dit encore son nom. Camille. Elle ne bouge pas. Elle n’entend pas. Elle ne voit pas. Elle ne veut pas. Au loin la mer, le ciel bleu, les pins parasols, les cyprès, les rochers si photogéniques de la baie de Capri. Il est debout là devant elle, les yeux braqués , les bras ballants, la tête basse, il ne sait quoi faire face à ce mur de silence glacé, d’immobilité sourde, d’ hostilité muette. Il pose des questions, encore des questions, parle tout seul. Elle lève enfin la tête, le fixe à travers ses lunettes de soleil, secoue ses cheveux blonds de Gorgone immortelle et repose la tête sur ses avant-bras. Il vient s’assoir à côté d’elle, enserre ses genoux de ses longs bras d’homme malheureux, la regarde de côté, regard en biais, regard perdu, perplexe, gêné, pétrifié sous le borsalino noir. Il saisit le polar, Frappez sans entrer de John Godey, fais semblant de lire. Impossible dialogue, un mur glacial s’est élevé entre eux sous la chaleur métallique de la baie de Capri. 

Catherine Marchi