écrire-film #01 | le photographe

Intérieur banal, une table, grande, un beau bois. Au bout, contre le mur, un bouquet de fleurs séchées. Sur la table, un appareil photo, équipé d’un objectif inhabituel, avec des vis. L’ensemble n’est pas de toute première jeunesse. Des mains posent un sac à dos à côté, modèle rando, plutôt petit, un peu fatigué. Les mains ouvrent le sac. Une main saisit l’appareil, le dépose dans le sac sans plus de précaution. Un long étui est posé à côté. Les mains l’ouvrent, vérifient le contenu. Un trépied massif, très métallique. Le sac à dos et l’étui du trépied reste quelques instants sur la table. Bruit de pas, de portes qui s’ouvrent, de zip qu’on ferme, d’interrupteurs qu’on actionne. Les sacs sont soulevés, l’un après l’autre. D’abord l’étui, puis le sac à dos. Une main qui ouvre la porte d’entrée, qui la referme, qui introduit une clef dans la serrure, qui actionne le mécanisme. Une paire de chaussure de marche qui descend un escalier d’immeuble banale, quelques marches, une porte vitrée, une deuxième, un sol bitumé. De l’autre côté d’une allée des maisons de ville collées les unes contre les autres. A gauche, une haie assez haute, des arbres aux troncs étroits. Le paysage est en mouvement, immeubles modestes d’un côté, pavillons proprets de l’autre. Le ciel est rougi par le soleil qui se lève. Une rue traversée, il n’y a plus d’immeubles, juste des maisons, des haies, des bas-côtés arborés, après quelques mètres, un terrain de sport, des poteaux de rugby, l’herbe est blanche, gelée. Des clôtures d’un côté, fermant des jardinets, une allée piétonne, de l’autre côté une végétation ordonnée, une pelouse blanche. Passage piéton, une femme attend de l’autre côté, bonnet épais, gros manteau, un salut échangé. Un bus s’arrête, une vieille Clio, avec deux personnes masquées, s’arrête. La femme ne bouge pas. Un passage entre deux palissades, parking d’un garage Renault d’un côté, pavillons cossus de l’autre, des jardins plus grands. Des chiens se croisent, aboiement, voix agacées des maîtres, les chiens se calment, suivent leur route, bonjour échangé avec les maîtres. La masse d’un château d’eau, disproportionné avec l’étroitesse du chemin, écrasant les maisons autour. Les pavillons se succèdent les autres aux autres quand la végétation se fait plus chaotique de l’autre côté. Au bout du chemin, deux utilitaires sont garés, un sentier se devine au-delà. La paire de chaussures de randonnée s’engage sur un sentier étroit. Des ronces s’accrochent aux lacets, la végétation est abondante, tiges, ronces, arbustes, le sol est glissant. Une feuille dont on devine la couleur verte avec des traces de rouge sur laquelle la glace s’accroche. Le ciel est parsemé de nuages dorés. Le sol blanc est jonché de débris de construction, de morceaux de meubles, de détritus divers. Des oiseaux chantent au loin. Une cabane en tôle, abandonnée, à demi-cachée par les hautes herbes. Elle apparaît dans le viseur, la mise au point se fait, la profondeur de champ change au fur et à mesure des réglages, respiration qui s’arrête, claquement de l’obturateur. L’écran affiche la photo, agrandissement d’un détail. Regard circulaire, une petite butte, les chaussures l’escaladent. La point de vue se dégage. La maison à nouveau dans le viseur, netteté qui change, claquement, photo sur l’écran, puis une autre fois. Mouvement brusque, un faisan qui s’envole lourdement d’un amas de ronce. Descente de la butte, un sentier très étroit qui part dans un pré, à un bout le château d’eau. Le sentier est très boueux, empreintes de sangliers. La vision se dégage, le château d’eau, avec le jour naissant au-dessus. L’appareil face à la scène, une main gantée actionne des vis sur l’objectif. Claquement, un autre réglage, claquement, réglage, claquement. Le photographe contrôle les photos sur l’écran, le château d’eau, seul au bout du pré, devant des herbes gelées, au-dessus, un ciel bleu sombre, des nuages dorés. Quelques pas autour de la maison, s’éloigner de la maison, revenir en arrière, s’arrêter, claquement, reprendre la maraude, s’arrêter devant un fauteuil défoncé, claquement, tourner autour, claquement, s’arrêter, claquement, s’éloigner, retrouver la rue. Des belles maisons, des voitures qui en sortent calmement. Cris d’enfants qui jouent dans une cour, qu’on devine au fond d’une allée. Une autre rue, toujours des belles maisons, la perspective s’ouvre, un terrain abandonné, clôturé par un grillage délabré, au bout un portail à demi ouvert sur la végétation ensauvager. L’objectif est au plus près des branches, des fleurs séchées, la mise au point est serrée, précise, les gestes très lents. La respiration s’arrête, claquement, l’image s’affiche, claquement, photo sur l’écran, claquement, écran, claquement, écran, claquement, écran, le bon angle, la bonne mise au point, la bonne profondeur de champ, la respiration s’arrête, claquement, reprend, s’arrête, claquement, reprend. Le chemin est repris dans le sens inverse. Regard sur une montre, une montre de sport, une heure déjà… traveling sur le paysage.

A propos de Antoine Ravet

Dilettante d’images, de lettres, de musique

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