Le prince de Paris

Tu es né sur la table d’un seigneur anglais, trop occupé sans doute à ses affaires pour en apprécier ta juste saveur. Deux tranches de pain, une couche de beurre et une tranche de jambon pris en sandwich. De prime abord, tu ne devais pas être très appétissant aux yeux de cet aristocrate, habitué des festins de roi. Et pourtant tu es l’anglais favori des français, plus célèbre que les Beatles. Tes tranches de pain au jambon sont devenues un des symboles de la gastronomie française, avec le béret et la Tour Eiffel. On envie ton succès. On t’imite, on te défie mais sans jamais t’égaler. Tu résistes sans faillir, coûte que croûte, aux attraits des sandwiches pâté-cornichons ou crudités-poulet et autres pain bagnat et croque-monsieur. Que dire de la concurrence étrangère avec ses sandwiches kebab et les menus soupesés et prémâchés de l’américain Mc Donald, sans oublier les plateaux de sushi recomposés, d’inspiration japonaise, très prisés des millenials hi-tech? Tu restes malgré tout, très populaire chez les gens du peuple, employés ou cadres de bureau, ouvriers, étudiants, voyageurs, souvent pressés et désargentés. On te mastique machinalement, indifférent à ton goût, sur le pouce, entre deux tweets ou une vidéo netflix, accoudé à un comptoir de brasserie, au bureau, au volant, ou en faisant du shopping. Tu t’adaptes à toutes les situations et tu trouves ta place partout, que ce soit dans une poche ou dans un attaché-case. De ton passage, il ne reste que des miettes, bien vite effacées comme un pêché honteux, d’un revers de la main ou d’un coup de torchon. On te met souvent aux menus sandwich-dessert ou sandwich-boisson avec dessert en supplément. Pour la boisson, ce sera une bouteille d’eau plate ou gazeuse voire un soda. Quelquefois ce sera une bière en canette qui mousse quand on la décapsule. Pour les amoureux du cru et de la croûte, ce sera le ballon de rouge au bar, car la vente d’alcool à emporter est interdite si on ne consomme pas. Triste sort! Servir de faire-valoir à des appétits autres que celui pour lequel tu as été conçu. Il y aurait beaucoup à dire sur la manière de te servir. On te prépare avec du pain de mie ou de la baguette industriels, qui ne croquent même plus sous la dent, fourrés d’un jambon rose trop pâle mais polyphosphaté, que l’on étend en un tour de main, vite fait-mal fait, sur une feuille de laitue, souvent défraîchie, recouvrant une couche de beurre bon marché. Quelques cornichons disséminés ça et là, donnent un peu de relief à un ensemble insipide. Peu importe ta noblesse, on te drape d’oripeaux de Sopalin ou d’un sac en papier kraft, couché sur une assiette trop petite, prêt à être avalé sans autre forme de proçès. Pourtant tu as encore tant de choses à faire partager aux gourmets aisés. Qui pourrait résister à une demi-baguette, moulée au levain, croustillante à l’extérieur et moelleuse à l’intérieur, enroulant une tranche de cuisse de cochon, rose comme un bonbon, désossée à l’os coulé, qui a cuit longuement, emmaillotée dans une chaussette? Du beurre de Guérande ou de Noirmoutiers, recouvert d’une salade de roquette, de pousses d’épinard, de rondelles de radis et d’amandes concassées avec une tranche de fromage, viendront agrémenter l’ensemble. En boisson, un vin rouge sec plutôt jeune, un Beaujolais Lantignié ou un Anjou Gamay nouveau ou encore un Côteaux de Coiffy rouge apporteront une touche de fraicheur et un délicat parfum de violette et de rose dans une touche acidulée rappelant le goût du bonbon anglais. Garçon l’addition!

A propos de Laurent D.

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6 commentaires à propos de “Le prince de Paris”

  1. Bel hommage au sandwich, au jambon-beurre parisien. Quand il arrive à point nommé, avec des produits frais et savoureux, il n’y a rien de meilleur pour un repas sur le pouce. Personnellement ce sera avec une bière bien fraiche. Santé !

    • merci bien. Il est encore possible de déguster de savoureux jambon beurre à Paris. La dernière fois c’était aux Fontaines de Belleville, rue Juliette Dodu. Bon appétit