Les murs de Jérusalem

Elle pensait à ce moment passé, hier, au Mucem, ou, devrait-elle écrire, au fort Saint Jean ?

Ça aurait pu être à Jérusalem mais c’était au Mucem, le premier dimanche du mois, la visite gratuite de l’exposition Dubuffet « un barbare en Europe » lui avait plu, l’avait dérangée – elle aimait bien cela – après, elle avait pris la longue passerelle jusqu’au Fort Saint Jean, jusqu’au grenadier en fleurs rouges fripées et jeunes fruits brillants de chaleur, entamé la vertigineuse descente d’escaliers jusqu’en bas, tout en bas du fort, pour sortir vers le Vieux-Port.

A ce moment, elle avait hésité, elle avait vu les gens se diriger vers un portique coloré de bleu et de rouge pour se rafraîchir au brumisateur, elle avait vu les hauts murs jaunes de soleil, les gens se dirigeant vers une antique porte creusée dans des murs rugueux aux formes disparates, une montée qu’on voyait commencer. Elle avait pensé à Jérusalem.

Puis, elle s’était retournée et avait découvert l’ombre, les chaises longues colorées et gaies où les familles se reposent, essayent de calmer leurs jeunes enfants turbulents.

C’était un lieu paisible et frais où elle avait aimé se reposer à l’abri des murs irréguliers, jaunes, anarchiques et cependant rassurants du fort.

En haut, sur l’esplanade, le soleil ne laissait pas de répit, ici, dans ce creux d’ombre entouré des murs chaleureux en pierre de Cassis, elle se reposait du soleil et des émotions.

Elle voyait des bustes humains passer sur les remparts, des gens monter les vieux escaliers. Avec précaution, elle s’était à demi-allongée sur une chaise-longue rouge. De ce creux de douceur, elle voyait un angle de la tour du Roy René ponctuée de créneaux, un côté à l’ombre, l’autre ensoleillée,

des têtes se penchant au ras des murs d’enceinte tout en haut, puis disparaissant derrière un mauvais arbuste, d’autres morceaux d’ humains apparaissaient, s’éclipsaient. Un bambino chantait résolument, joliment, tout près d’elle, la charmait.

Tout en haut du chemin de garde, elle apercevait des morceaux de gens, tête et buste qui se déplaçaient, deux, puis trois, ça changeait tout le temps.

Un air de musique flottait de temps en temps dans l’air, on l’entendait à peine. Un tout jeune enfant criait soudain, perçait ses oreilles. Cela ne durait pas.

C’était un endroit creux à l’ombre, entouré de murs clairs au soleil. Un creux de fraîcheur protégeant du soleil brûlant, une surprise de la promenade dont on pouvait profiter en regardant là-haut, les corps morcelés se succédant au ras des murs d’enceinte, les bulles de savon en suspension dans l’air, puis éclatant sans bruit.

La limite de l’ombre et du soleil se découpait très nettement au sol, reproduisant la découpe des murs légèrement jaunes qui les entourait.

On pourrait être à Jérusalem.

Elle était si bien ici, qu’elle avait envie de s’endormir, là, au creux des murs, en regardant passer les gens, dans le va-et-vient des visiteurs armés de leur plan de visite, entendant vaguement les notes de musique annonçant le concert du soir.

Quand elle avait ouvert les yeux, le ciel très bleu, suivait les angles des murs qui le rendaient anodin et léger, les murs épais, rugueux qui donnent la verticale et nous séparent de l’élément marin. Si près de l’eau, on ne sent pas l’air iodé si caractéristique de la Méditerranée.

On est dans le minéral, un minéral joyeux qui dresse sa pierre sèche au soleil, découpe des espaces blancs, jaunes et noirs où l’on peut se caser.

A propos de Marie Barthélémy

J'anime des ateliers d'écriture à Marseille pour un public classique et aussi à la Friche-Belle-de-Mai pour des personnes désirant apprendre à écrire la langue française