Moi, Je

Il y a du jaune et de l’orangé et je baigne dedans.
J’ai des mains des pieds mais pas encore de bras et de jambes je suis secouée.
Je fais de la balançoire à gauche à droite je roule.
Je ressens tout ça mais je ne vois rien petit à petit je pousse et je grossis. Une fois mon corps s’allonge
et une autre fois il descend tout seul je le sens qui glisse.
Il se tasse un peu et il sort de là-dedans il est content il sourit.

Après je ne sais plus

J’ai été un beau bébé mais on ne me l’a pas dit. Sinon, je m’en serais souvenue.

J’ai fait ce que font tous les bébés. J’ai fait pipi sans éclabousser ceux qui m’ont changée car je suis de sexe féminin.

Je me suis endormie dans la voiture qui nous ramenait des pique-nique et on me portait jusqu’à la maison.

J’ai joué, j’ai aimé un joli chat pop art
Je refusais de dire bonjour

J’ai aussi joué à la poupée, aux petites voitures écrasées dans l’encoignure des portes.
J’avais peur qu’on m’oublie quelque part.
J’ai été jalouse des anniversaires des autres.
Je n’ai pas pleuré souvent je n’ai pas bronché j’ai aimé l’école.

Je suis souvent allée chez ma copine jouer et même dormir.
Je me suis réveillée dans un hôpital : les arbres m’ont paru étincelants.
J’ai pris l’avion et au-dessus des nuages, le temps s’est débiné et j’ai flotté dans l’immensité immobile.

J’ai fumé j’ai dansé j’ai bu.

J’ai mis du noir sous mes yeux du noir dans mes cils et j’ai lissé ma frange.

J’ai eu un joli bébé je l’ai installé auprès de ma chatte tigrée maman elle aussi.

J’ai eu peur car il respirait vite -comme tous les bébés mais je ne le savais pas- et je me levais toujours pour le surveiller et le regarder dormir.

Je ne suis assise devant la mer.

Je me suis ré-assise devant la mer mais je n’ai pas nagé.

Je me suis mariée. Définitivement.

La première fois, je portais une robe verte avec un coeur rouge cousu sur la poitrine. C’était en août et il ne neigeait pas et ce n’était donc pas la saison des cadeaux.

La deuxième fois, je portais un ensemble blanc et des perles dans les cheveux. C’était l’hiver, le temps était splendide et les perles miroitaient dans l’air mais je les ai perdues. Définitivement.

J’ai tellement voulu être dans le regard de l’autre. Je le veux tellement. « Etre aimée » on dit.

Jusqu’à présent, j’arrive assez bien à résister. Lorsque ça me paraît trop difficile, la colère vient. C’est dommageable.

Je n’ai plus beaucoup de temps à donner au temps. Il me faudrait un bon matelas pour rebondir.

Il me faudrait un fauteuil en osier et un quart de lune pour me balancer.

A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.