Notes de bas de pages points d’encrage

1/ L’art de l’impossible. Serait-il possible de relier la vie même à la poésie, pur exercice d’exorcisme, s’arrachant aux griffes des contraintes de sa fabrication et y revenant plutôt que d’y rester. Entamer une tentative de dialogue toujours avortée et reprise avec l’Autre, s’expliquer de son soi au sien, de l’intérieur à l’extérieur de mots-corps, chutes naturelles rapportées de voyages, dans un espace indispensable et rigoureux mais impossible − flux comme de l’amour impensable sans lui, reflux, impossible avec lui. L’impossible désir de libération nous tenaille tous mais vers quoi, creusé recreusé. L’indispensable et l’impensable quitter son corps pour faire corps. Pur besoin de l’Autre, l’être soi se promettant à l’autre soi sans jamais y parvenir. Par le toucher de l’exercice de sa poésie croire accéder à la vie, crue véritable.

2/ L’art de la fuite. Et bien penser à voler les armes au passage. Ne pas faire front. Laisser la place vide pour échapper à l’inclusion forcée contre laquelle on ne peut rien. Laisser choir l’apparence de l’universel pour la réalité du fossé, du corps dépenaillé le plus proche du sien. Dans ce toucher la force d’un discours affectif reniant le politique à la fois immédiat et remis à plus tard. L’immédiateté pourvoyant aux besoins et construisant dans l’expérience vitale, à l’aide de nos corps, le langage d’un monde à venir. Tâcher d’y croire.

3/ L’art de l’entre deux. Échapper au contrôle et à tout système dual. Permanence de la conscience mordant la chair de l’esprit et s’y arrimant pour laisser sa trace. Instance désirante débordée par son intérieur, voyage et sur place, pas de place, zones labyrinthiques enfouies et couloirs de circulation multipliant les canaux de franchissement des murs mentaux érigés pour enserrer l’humain dans une seule forme d’impossible commun. Venir se coller de l’autre côté de la paroi pour se re-remplir les poumons. Flux en mouvement constant. Pour finir, éclatement du noyau tombé de rideau. La joueuse de harpe laissant, dans le silence fermement tenu, le soliloque du pauvre à jamais condamné.

4/ L’art de l’éthique. S’expliquer avec soi-même, par conséquent avec l’autre de soi inclus dans soi sous sa forme la plus essentielle. Tombé là par hasard et dépasser ce hasard. Quitte à en faire ressortir l’écorché et avoir toujours à recommencer. Jamais finir dans le vivant éperdu, battu, le regarder s’épuiser de tous langages pour (ne pas) braver l’humain, tout perdre et recommencer. Obtenir le contraire de l’attendu, le voir gesticuler sous ses yeux grands ouverts le corps ligoté, inaccessible hic et nunc. Proférer les noms et les mots en sachant que c’est pure perte. L’aquarelle gardée par devers l’autre de soi à soi gémissant de désir de tendre le poème.

5/ L’art de la survie. Mouvements déséquilibrés de libération sur la crête, dans l’amplitude du pas ou du saut de crête en crête vers une collectivité impossible, pourtant bien existante mais disséminée et enfouie derrière l’Écran. Le langage proféré émanant d’elle ne suffit pas, il faut l’identifiant et le mot de passe et l’accord sur des règles transmises depuis toujours. Mais le poème est orphelin. Le visuel se détache et s’arrache, insuffisant, impropre. Le sonore instaure des grésillements suraigus de l’intérieur, complexifiant le ressort de l’action tendue au bord du vide ; celle du poème en mouvement et en lutte contre le langage pour l’être soi de la vie en son essence. Partir contre et retourner au puits, en boucle. Ne rien occulter de ce qui a été, mais trouver un langage qui s’en libère pour dégager des bouts de vie en question depuis l’interruption du 20ème siècle. Fracture répercutée sur tous les plans, dont le plan poétique qui glisse entre les doigts crochetés de l’artistique intemporel et tente d’aller de l’avant, désespérément, en s’adressant à ce qui reste de l’humain, à ce qui résiste par en dessous.

6/ Théâtre. Une jeune amie faisant de la vie un théâtre d’opérations burlesques à voir, dangereuses à pratiquer. Jeune femme dépourvue de surmoi qui s’adonne au théâtre dans une vie qu’il conviendrait de mettre au pluriel, un pluriel agencé selon un mode de superposition de vies sous forme de plaques, empruntées successivement en les faisant se toucher au passage comme des enfants jouant à la main chaude et se faisant, elle repousse indéniable le chaos du monde et les murs de la cellule infinie.

7/ Campagne et perception de la différence. Campagne de l’enfance. Seule ancre jetée si j’y pense dans un ailleurs ouvrant la bouche pour dire autrement et se faire entendre sous le masque d’un passé réutilisable. Bord de la Cure. Plongeons, poissons d’eau douce, frayant pour ainsi dire avec les vaches paissant bucoliques, lueurs argentées sous un soleil indifférent, dans des sursauts appelant à l’aide la main droite du pêcheur s’en emparant pour retirer délicatement le hameçon de la jolie lèvre. Prendre fait et cause pour celui qui virevoltait si beau la minute d’avant.

8/ Ville d’enfance, ville des impressionnistes. Vitraux. Chants d’église. « Son amour qui n’avait jamais été évident pour moi est devenu lumineux lorsque je l’ai perdue » (livre de l’inquiétude, Fernando Pesoa).

9/ Festival et rencontres. Prise de corps au sommet du plateau qu’encastrent les monts penchés sous un ciel immense et les passagers de ce territoire en mouvement marchent ou dansent mais jamais ne s’arrêtent. Barrés peut-être mais à la fête. Difficile de répondre à la question t’en penses quoi. Sous le petit chapiteau conférence improvisée avec la SF de AD. Pris son temps, essai transformé comme s’il tenait le monde par un bout dans le creux de ses mains chaleureuses. Le soir, ça vibre long les sons et les mots au micro qui plongent au cœur du grand corps et qui restent.

10/ Forêt, art éthique. Impossible écrire seul, impossible créer seul, il faut le dire. Restituer donner tendre recevoir demander entendre tourner retourner. Suivre les boucles qui se forment dans la nature naturelle. Toucher. Et étudier ensemble ce qui est donné directement hors les murs et dans la vie même. On n’a pas exercé en conscience le choix de l’Antigone emmurée vive. Les racines se touchent sous la terre et les branches dans le ciel. Font corps.

11/ Maisons passées et à venir, lieux. L’art de mentir et d’inventer lorsque la vie réelle s’est déroulée entre les quatre murs d’un rôle bien assigné par son propre choix celui de l’ennemi et la jambe pourrie comme il faut en dessous joli maquillage sur le dessus pour passer inaperçu. Errance contenue le long du droit chemin comme pauvres dans établissements enfermés pour les faire disparaître, car il est bien certain que le mode de vie dominant n’est pas négociable. Voler et s’enfuir, pas d’alternative. Take the money and run. Ah l’absolu précédant la crise et la posture du sage, étudiant fou du fin fond de sa cellule, mi-barricadé mi-enfermé ! Combien de temps pour combien d’années la condamnation ? S’esclaffer sur toutes les coutures de l’ironie des sorts confrontés à leurs pires contradictions. Bravo l’histoire des destins concoctés à laquelle notre rôle est d’échapper. La meilleure !

12/ Alors où atterrir ? Feindre de ne pas s’être trouver. Se faire le jouet de la raison et du fameux lâcher prise ou persévérer dans son être d’irraison. Se donner pour finir au terrible chemin initiatique, certainement erroné, une fausse route de plus cette fois dans le vrai du réel ; illusion de beauté et de joie, rassérénée, trop grande pour soi (« Nous avons tous deux vies: / La vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance, / Et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard; / La fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les autres, / Qui est la pratique, l’utile, / Celle où l’on finit par nous mettre au cercueil. » (Alvaro de campos Dactylographie) ? Je reconnais que le simple paysan était heureux. Que les champs étaient magnifiques. Que la chimère trop désirée fini par nous dévorer tout crû de ses grandes dents.

13/ Essayiste poétique apprenti. Passer tel détroit enveloppé de hardes protectrices ou cache gloire commune, piqué ici ou là ou payé pas cher. Menu pièce empruntée à la sibylle d’un homme de manche peu attentionné. Le pauvre, le démuni, celui qui expose son corps pieds nus sur le pavé humide et froid, dans un geste performatif et visionnaire (Michaux, Passages, François d’Assise ou de Rambuteau)

Bref, filaments viandeux excentrés restants, cuits et recuits à l’étouffée sur coins de gazinières comme ça peut. Toujours mieux que crever la dalle armé d’une pioche dans son coin.