ôde à celle qui

Celle qui attendait son retour, l’index couvert d’un dé, s’est piqué le pouce dans le gras, a taché de sang une étoffe dont le temps a pâli les couleurs, que ses filles ont gardée.

Celle qui d’un signe se fait pardonner l’offense de désirer des morts libératrices derrière le vague d’un regard perdu à l’horizon.

Celle qui rêvait de l’ardeur d’un baiser en relevant une mèche d’un geste d’épaule caressant son oreille, celle qui trouvait le temps long le soir venu, en ordre de silence, prisonnière d’un destin pour elle décidé.

Celle qui sacrifie sa chevelure à dieu ou à l’argent, celle qui sous sa jupe cache les gages de son avenir, celle qui baisse les yeux comme on le lui a commandé.

Celle qui entendait une voix venue de grottes obscures, portée à elle par des ailes d’anges, confite en foi, psalmodiant sa consolation éternelle de n’avoir pas enfanté.

Celle qui fut sanctifiée parce que le lait coulait de sa poitrine après sa mort pour nourrir de sa chair l’enfant qui s’accrochait à son sein, dans un désert. Elle abreuve les hommes depuis qui à ses autels déposent des bouteilles d’eau.

Celle qui, vestale était enterrée vivante pour avoir failli au serment de virginité – viva defossa – cruelle punition pour un devoir si vain.

Celle qui chantait d’une note si aigue qu’elle fendait le cristal, celle qui ânonnait une mélodie archaïque et douce à des nourrissons affamés, les endormait à coup de baisers, celle qui portait encore la marque du bâillon, celle qui souffrait d’aphonie affective avait la larme aisée pour taire l’impensable.

Celle qui pliait son corps à l’art, pieds torturés, la main gracile, dont l’étole s’est prise dans la roue de son bolide décapotable, un soir d’été, sur une corniche, devant la mer étendue, l’a étranglée.

Celle qui n’excuse pas qu’on lui préfère une autre, macule de sang menstruel les lettres envoyées, refuse au fils de la maîtresse le droit de porter le nom de son mari.

Celles qui brodent leurs peines sur le torse des hommes, en sigle ou en médaille, celles qui repassent leurs chemises, celles qui lavent les corps, veillent les mourants et habillent les morts.

Celles qui initient à la langue du tendre ouvrant grand la bouche pour articuler le mot, celles qui giflent.

Celles qui avancent crâne rasé, couvertes de déjections au milieu de la foule illuminée.

Celle dont le corps bafoué par les mains souillées d’un médecin, est morte en couches, celle qui enterrait le placenta encore tiède, au pied de l’arbre au fond du jardin, pour que les bêtes ne le mangent pas.

Celle qui pleure son enfant mort, celle qui boit jusqu’à la lie son calice de honte, ne se lève plus, témoin silencieuse de l’abandon de l’esprit, celle qui ne tient encore debout que par le geste qu’elle répète jusqu’à en posséder l’engrènement.

Celle qui, trop laide, n’espérait plus tant et remerciait son maître des coups qu’elle recevait, celle qui trop belle oubliait le temps qui la fera, à un vieil âge, ne valoir guère mieux, rides poudrées, dire corseté.

Celle qui se préoccupe de la couleur des rideaux, fait encaustiquer l’escalier par une bonne disgracieuse aux yeux des hommes de la maison, celle qui aimait son jardin y plantait roses et arbres rares qui eux sont toujours vivants.

Celles qui se sont absentées, en folie ou en maladie pour fuir l’inénarrable, celle qui ont choisi la liberté, on été effacées, celles qui n’ont pas su faire front, à quoi le geste s’est accordé.

Celle qui vendait vin et charbon rue Mouffetard à Paris, fille-mère offrant son nom à ses fils pour le voir gravé quatre fois sur la plaque de marbre dans la cathédrale de Beauvais, à ses morts pour la patrie.

Celle qui, Sorcière, tresse de ses cheveux l’espoir dont elle emmêle ses visiteuses, promesses lues dans les cartes ou dans les étoiles, sabir futuriste de transmission, la figure de son pouvoir est nue, de toute éternité.

Dans certaines conditions il advient que la matière se dote d’attribut physique associé à la vie,  ainsi en est-il de certains objets par la main de femmes, tel est leur écrit.