#Outilsduroman #03 | Pas de retour possible

DEBUT DE ROMAN
Elle avait toujours souhaité quitter cet endroit, partir, loin, aussi loin que ses pas auraient pu la porter. Jusqu’à aujourd’hui, elle était restée figée dans une gangue qui l’avait maintenue là toutes ces années. Cette nuit, elle avance lentement vers la voiture blanche comme la neige qui recouvre tout. D’un pas méfiant, elle s’approche vers ce futur qu’elle a tant désiré. Aucun retour en arrière ne sera possible. La main se lève, se tend vers la portière. La main résiste au changement. Un soupir d’encouragement. De la vapeur sort de sa bouche, une fumée d’angoisse se confond avec l’hiver. Elle pose sa main gantée contre le métal froid, ouvre la porte arrière. Elle y balance un gros sac de toile dans lequel elle a entassé quelques vêtements et quelques photographies, pour ne pas partir seule. Elle fait un pas sur le côté, et se jette sur le siège passager comme on se jette dans le vide. Ne plus penser, y aller, ne pas renoncer. Elle se tasse sur son siège, rentre le menton dans son écharpe. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Elle le sait. «  Sans regret, on y va ?  On y va », répète-t-elle avec certitude d’un ton qu’elle trouve trop fort dans ce silence de la nuit. Elle n’en revient pas, d’où sort ce ton assuré, déterminé comme si elle avait l’habitude de fuir avec méthode. Elle est chargée de doutes jusqu’à la gorge. Elle ne peut rien dire d’autre. L’homme jette sa cigarette par la fenêtre. Les phares de la voiture s’allument, l’engin recule un peu dans la nuit, puis roule à travers les rues désertes et glacées. Elle regarde, prend des réserves d’images et de souvenirs. Il n’y a pas de retour possible. La lumière des réverbères sur la neige, le silence du froid, les pneus qui crissent contre la neige. Ils passent devant la librairie éteinte. Elle plisse les yeux, mais elle ne voit pas la couverture des livres mis dans la vitrine. Pas de regret, elle en trouvera une autre où s’approvisionner. Elle n’a pas pu prendre les siens, elle a laissé l’étagère pleine dans la chambre bien rangée avec le petit mot sur l’oreiller. La boulangerie est encore éteinte, de l’arrière-boutique jaillissent des rais de lumières laissant deviner l’activité qui règne à cette heure du matin qui appartient encore à la nuit. Les pâtissiers s’affairent, préparent les tartes, les éclairs, les croissants et les pains au chocolat. Des rangées de pains sortent et entrent dans le four. Il lui semble sentir l’odeur du pain chaud. Elle salive instinctivement. Deux ou trois fenêtres sont allumées sur les façades. Elle imagine les gens préparant leur café dans un état de demi-sommeil. Elle entend le bruit des chaises qu’on traîne doucement pour ne pas faire de bruit, mais qu’on entend quand même. Elle se demande si les parents sont déjà réveillés. Elle les imagine se préparant le matin. Sa mère lance le café, puis file sous la douche pour ne pas être en retard. Elle arrive toujours la première à l’agence. Son père s’assoit déjà habillé, mange une tartine et s’en va. De quoi parleront-ils ce matin ? Est-ce qu’ils se souviendront longtemps de ces mots échangés ? Peut-être qu’aucun des deux n’ouvrira sa porte pour lui dire de se réveiller ? Peut-être qu’ils ne découvriront son mot posé sur l’oreiller que ce soir ? Qu’est-ce que ça change ? Elle a fait le grand saut, elle est partie. Les immeubles laissent place à de petites maisons en périphérie de la ville. Toujours la nuit. De rares fenêtres allumées. Ça y est, elle s’en va. Ils quittent la ville, les bandes blanches de l’autoroute filent à toute allure sur les côtés. La lumière blanche des phares éclaire le bitume. Il n’y a personne. Seuls au monde. Elle éprouve un sentiment bizarre, un état étrange. Elle a osé, elle a sauté le pas. Elle est partie sans rien dire. Elle a laissé un petit mot sur son oreiller pour que les parents ne s’inquiètent pas trop. Elle leur donnera des nouvelles quand elle sera installée ailleurs.
DEBUT DE NOUVELLE (MÊME HISTOIRE)
Un matin, sans rien dire, elle est partie. C’était l’hiver, il y avait de la neige partout. Il n’y avait pas de retour possible. Elle le savait. Elle avait juste laissé un mot sur l’oreiller pour que les parents ne s’inquiètent pas.

2 commentaires à propos de “#Outilsduroman #03 | Pas de retour possible”

  1. Épurer l’incipit encore et encore. Il neige et elle est partie. Il neige. Jouer des sens comme si c’était la première fois. Le froid, le crissement des pneus dans la neige, la devanture de la librairie, imaginer les parents qui se souviendront. Jongler avec ces bulles dans l’étrangeté du moment. Emmener le lecteur sans retour possible. Envie d’y être. Merci.

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