Ouverte ou fermée

Ouverte ou fermée, elle donne sur la nuit qui mange la demi-lune encore attachée au souvenir. Mince paroi qui n’en n’est pas une, découpant à l’intérieur des morceaux de transparence tenus par les montants du corps traversé.  Navette  entre dedans et dehors quand l’un devient l’autre dès que le vent tambourinaire donne le signal. Elle est le cadre du vertige, les hampes des acanthes et les visages bougent doucement sur sa toile. Il te regardait passer depuis la fenêtre de l’étage quand tu tentais d’échapper à l’attraction terrestre et quand tu rentrais c’est toi qui te cachais dans l’embrasure, visage contre vitre, cherchant à deviner sa silhouette penchée sur la table de travail dans un carré de lumière suspendu en plein noir. Les volets ont été fermés, les battements du coeur ont fait un trou dans l’eau qui s’est refermée, la fenêtre a disparu. Le petit jour l’a reconstituée comme si de rien n’était : elle est revenue sur le dormant, te donnant encore une fois  la possibilité d’un appui sur l’allège pour voir. C’est souvent par là qu’il passe avec ses outils, ses instruments et tu rassembles tes forces dans sa présence invisible pour condenser dans l’ouvrage léger tout ce qui apparait : enfant ou amante attendant contre elle le retour,  visages de ceux qui n’attendent plus rien ni personne, corps adolescents échappant à la salle de classe par l’œil du bâtiment, marins guettant par la fenêtre de la cabine les âmes errantes perdues en mer. Et la dure limpidité te heurte, tu es l’insecte fou qui se jette contre le verre dont il ignore consistance et conséquences. Elle te prend, te vitrifie, tu es sa semblable avec un cadre qui troue le mur, et le verre devient feuille après la longue coulée qui a traversé toute la maison du corps. Tu es à doubles battants, à la charnière du jour et de la nuit et quand tu es seule comme elle, tu deviens au secret de l’attente  un vitrail gorgé de reflets qui annule toutes les façades en inscrivant dans le noir des scènes, des éclairages, des tourbillons, des rues et les échelles de temps qu’il emprunte pour te rejoindre dans les rêves aux fenêtres sans vitres, sans contours, sans murs.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.