P#10 Dialogue filé : chansons

Tu crois pas que tes chansons, à tout bout de champ, c’est un peu exagéré, oh tu sais je fais ça pour rire il faut bien rire de temps en temps sinon, mais là, quand même, c’est toujours pareil, ça revient sans arrêt à chaque fois les mêmes trucs déjà mille fois entendus, écoute, moi j’en ai beaucoup, d’accord, mais le répertoire n’est pas inépuisable, c’est normal que ça revienne, et puis bon, c’est mon plaisir, parce que je suis un homme heureux il dit d’un air sûr de lui, oui, tu en as beaucoup, mais à chaque fois tu ne chantes que le début, un bout au milieu et les refrains, ah, les refrains, c’est ce qui fait tout, c’est le cœur, elle prend une mine boudeuse, elle n’ose pas lui dire qu’elle ne le croit pas vraiment heureux, oui, tu chantes ce dont tu te souviens, des chansons qui te trottent dans la tête, ah si tu savais, il y a longtemps qu’elles me trottent, ben oui, je les connais depuis que je suis petite, comme si tu avais voulu que je les apprenne, je comprends, bon, d’accord, tu me dis que je radote avec mes ritournelles, non mais il y a un truc qui me chiffonne, quoi donc, il dit brusquement, le visage froissé, tu chantes comme si ça t’empêchait de proférer des dérisions, des sarcasmes sur la vie pas si drôle, mais pas du tout, si je chante c’est parce que la vie m’a donné et me donne encore des raisons, oui, oui, on dit ça, mais alors pourquoi j’ai toujours l’impression que ce n’est pas les bonnes paroles, pas les vraies, que tu les remplace par des versions assagies, que tu as inventées, moi inventer, je n’invente rien et je ne te demande pas de me croire, mais c’est la vérité, tu parles, maintenant vraiment irritée, elle croise les bras, suit son regard fuyant, tu penses donc que tout le monde est dupe, il cherche à se rattraper, bon, à la base, c’est de temps en temps des chansons un peu osées, des refrains de soldat, de salle de garde, mais je les arrange à ma manière, tu n’as pas tort, ah, tu vois, je le savais, mais ce genre de truc, c’était bon quand j’étais gamine, maintenant tu pourrais chanter les vraies mots, mais, ma pauvre, avec un rictus pas très franc, je les ai complètement oubliés les vrais mots, oh, on peut jamais parler sérieusement avec toi, et tu vas continuer, et tu vas recommencer, tu ne vas pas m’empêcher de chanter quand même, ça serait un peu fort, je te dis, c’est pour le plaisir, eh ben j’y crois pas tant que ça, à ton plaisir, allez, arrête d’être de mauvaise humeur, il faut que je retourne surveiller le feu dehors, bien sûr, tu t’en vas parce que tu es coincé, c’est toujours pareil, je ne saurai jamais rien de toi, mais si, on en reparlera une autre fois si tu veux, tu as beau dire en tout cas, tes chansons, c’est complètement exagéré, oh tu charries, je ne pourrai jamais m’arrêter de chanter de toute façon, ça fait si longtemps, c’est mon habitude, c’est ma petite musique, c’est mes petites paroles à moi, elle se retourne, part renfrognée.

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

6 commentaires à propos de “P#10 Dialogue filé : chansons”

  1. Quel rythme! Ça me parait un peu rapide pour des chansons de corps de garde mais ça donne envie de chanter et de taper du pied en mesure. Ils pourraient, tous les deux, essayer de le chanter en chœur.