#P6 Profité du beau temps

Profité du beau temps, ça sèche si vite, pour laver les housses de canapé, les plaids, les enveloppes des coussins. Pense à leur histoire, ceux qui se sont assis dessus ou allongés dedans ; ce plaid est un cadeau, celui-là était à la maison de retraite, un cadeau à sa mère. Les enveloppes des coussins ont des couleurs passées, il faudrait les changer. Le chat surtout si on compte le nombre d’heures qu’il y passe.

Malgré ses deux ans, il ne parle pas vraiment, répète des petites onomatopées mystérieuses, les noms de son entourage pour faire le compte des présents et des absents. Il comprend tout, ça lui suffit. Il ramasse des cailloux et des bâtons, s’arrête dès que l’un d’eux tombe de ses mains trop pleines, s’accroupit et le ramasse précautionneusement puis repart. « nez », cela veut dire qu’il a besoin de se moucher.

Le Rhône était large et boueux comme l’0yapock, les saules et les platanes des rives avaient de l’eau jusqu’à la ceinture comme des palétuviers ou comme dans la chanson. Il roulait à gros remous inquiétants, ce qui n’empêchait pas les pêcheurs de plonger leurs lignes et quelques cygnes de voguer majestueusement sur les bords.

Elle m’appelle, je réponds ; je l’entends, mais elle ne m’entend pas. On recommence, une fois, deux fois, le micro ne marche pas, elle lit sur mes lèvres en visio et confirme par SMS ce qu’elle veut me dire. Je teste avec quelqu’un d’autre, même échec. Éteindre et rallumer. La panne aléatoire ! En en parlant, j’apprends que cela arrive à d’autres, il faut répondre en mettant le haut-parleur. Des hypothèses : l’âge du téléphone ? Le réglage rémanent d’une écoute avec des oreillettes ? L’obsolescence programmée ? Il m’en reste une angoisse diffuse d’un dialogue de sourds.

C’est une grande femme carrée, je l’avais prise pour la maman du petit Léon, la fille de la grand-mère du petit Léon, grande femme mince à cheveux blancs coupés très courts. Je n’avais pas remarqué son appareil photo qui déclenche des oh ! et des ah ! d’admiration des professionnels dès qu’ils l’aperçoivent. Elle m’avait expliqué qu’elle était photographe et chercheuse, avait une commande du centre d’art de…, photographiait de préférence à la chambre, m’avait cité les galeries où elle exposait, mais n’avait ni compte Instagram, ni carte de visite. Je l’avais trouvée snob et à cause de ce jugement peu fondé, je n’ai pas regardé son appareil numérique. Je le regrette.

Hésitante, elle cherche ce que produit l’écriture et comment le dire. Elle compare la production d’un texte à l’étape finale de la digestion. C’est un état physique très clair pour elle, ça ne se passe pas du tout par la tête ni par le cœur, plutôt par le ventre, le bas du ventre exactement. Son texte n’a aucun succès, mais elle sait qu’elle tient là un début de vérité qu’il faudra approfondir. Elle apprend aussi petit à petit que les réactions immédiates des lecteurs ne sont pas importantes. Ce qui compte, c’est ce qui reste, l’imprégnation, le malaise, le germe d’interrogation. Continuer sa route, creuser son sillon.

Un cercle de balais ouvre l’exposition, verticaux, calés par leurs poils, franges, languettes durcis par la peinture qu’on y a déposée, de toutes les couleurs. Un symbole qui se veut fort, le cercle de sorcières, mais qui ne tient pas le choc. Un frôlement de visiteur et tout bascule. L’artiste plasticienne a disposé ça et là d’autres cercles, de pierre, d’eau. C’est insignifiant, trop petit, trop perdu, trop pauvrement réalisé dans ce lieu immense et superbe. Elle ne peut pas le dire. Elle ne dit pas non plus qu’elle est choquée par le texte de présentation qu’elle avait rédigé pour l’artiste. Elle n’est pas citée (c’est habituel), mais Baudelaire non plus à qui elle avait emprunté le titre « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », alors que Françoise Hardy l’est pour une autre citation : la question !

La chronique des Bridgerton. Elle s’étonne d’y voir une reine d’Angleterre métisse et autant de ducs et duchesses noirs. Ce n’était pas dans le roman, c’est une idée du producteur. On a tous les droits dans la fiction, même historique. Elle regarde comme si c’était l’Haïti du roi Christophe ; pour l’époque et les costumes, ça colle.

Je lis alternativement « Maupassant juste avant Freud » de Pierre Bayard et Maupassant. Il m’enchante toujours autant à dire ses peurs, ses angoisses et surtout leur lente progression presque imperceptible. Adoré Mont-Oriol aussi parce que ça se passe en Auvergne, terminé Fort comme la mort, je commence Une vie.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

4 commentaires à propos de “#P6 Profité du beau temps”

  1. Beaucoup de plaisir à lire votre texte et il m’a éclairé sur la proposition que j’avais bien du mal à comprendre. Merci

  2. Des évocations distinctes qui finalement forment étrangement bloc, comme un vagabondage néanmoins des uns aux autres – peut-être par l’absence de jours indiqués…