autobiographies #04 | petit-carnet-classeur-à-anneaux- clic -clac -et-carreaux-toujours- trop-petits pour envoyer des cartes postales.

Le carnet d’adresses à cartes postales. On n’envoie plus de cartes postales. L ‘écriture dépassait les petits carreaux, un petit carnet d’adresse n’est pas un cahier d’écriture à grandes lignes, comme à l’école. A croire que le carnet d’adresse n’était pas conçu pour les écritures maladroites et à grosses lettres de l’enfance, il fallait se forcer à serrer, pour que tout rentre, pour ensuite recopier sans fautes, bien appliquée, sur l’enveloppe. Ne pas oublier le petit-carnet-classeur- à -anneaux- clic -clac -et -carreaux -toujours- trop -petits, lignes serrées pour écriture en désordre, celle de la petite fille qui venait d’apprendre à écrire, qui pensait que partir, c’était surtout envoyer des cartes postales. Aujourd’hui elle n’en reçoit plus, ou presque plus. Quelques rares exceptions viennent bousculer cet ordre muet des boites aux lettres à factures et à publicités multicolores. Quand une carte surgit , « musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets ». La phrase. Mallarmé. L’absence. La fleur. La dernière carte postale reçue était timbrée du portrait de Charles Baudelaire. Enfant, elle collectionnait les timbres. Vont- ils mourir comme les carnets d’adresses ? Ceux qu’on lèche, petit effet éphémèrement acre sur le bout de la langue. Les e-mails sont sans goûts et ne jaunissent pas comme ces vieilles cartes postales d’un autre temps, celles que la mère recevait de ses parents qui ne l’élevaient pas. Elle avait chaque mois une carte postale de ses parents, ma mère. Quelle importance devait avoir pour elle cet unique lien ! Y avait-il le téléphone pour compléter un peu ce vide ? Parfois son père rajoutait quelques dessins humoristiques, pour la faire rire surement, peut-être aussi pour ne pas imaginer qu’elle était triste, là-bas, et qu’elle pleurait dans son lit. Le petit-carnet-classeur- à-anneaux- clic -clac -et-carreaux -toujours- trop-petits renfermait uniquement les adresses à cartes postales, l’enfant ne voit pas la nécessité d’avoir un carnet d’adresse au sens surfait, social, clinquant, business. L’enfant à cartes postales ne connaît pas le sens de ce mot en dehors de son pragmatisme naïf et immédiat. Pourquoi avoir des adresses qu’on ne connaît pas ? Elle entendait les adultes se vanter des étendues de leurs carnets d’adresses et se demandait s’ils devaient écrire encore plus serré  qu’elle, sur les lignes,  pour que tout rentre, s’il y avait des carnets d’adresses fait exprès pour les grands, si elle aussi, un jour, elle aurait un grand carnet d’adresses pour adultes, et si les vacances suffiraient pour envoyer des cartes postales à tout ce carnet qu’elle voyait marron, en cuir, et sans anneaux clic clac. Un carnet sobre à lignes serrées et sans carreaux, couverture en cuir marron, légèrement odorante, comme le sac à main de femme dans lequel elle glissera le carnet d’adresse étendu, comme les chaussures à talon elles aussi en cuir. Elle s’imaginait marcher avec une odeur de cuir, parce qu’elle aimait sentir l’odeur des amies de sa mère qui portaient du cuir, parce que l’odeur se mélangeait à celle du tabac et du parfum. Sa mère ne se parfumait pas, ne fumait pas, ne se maquillait pas. Elle trouvait l’exotisme ailleurs. 

Pour ses adresses, c’était tout le contraire, lieux connus, reconnus, proches mais alors si loin quand on partait en vacances, si loin qu’il fallait écrire, dire que tout va bien, que le soleil brille et que la mer est chaude. Puis calculer le nombre de jours que mettra la carte, l’envoyer dès le début des vacances pour être sûre qu’elle arrivera avant le retour, pour ne pas louper l’effet, penser aux boites aux lettres, là-bas, les boites connues, celles du coin.

Place Maréchal Foch. C’était solennel, elle s’appliquait pour ne pas oublier la majuscule à Foch, impressionnée par le nom et le titre, sans savoir qui c’était, préférant s’imaginer la grandeur à partir de ce nom si sec, un vrai nom de Maréchal, sans fantaisie, ça ne devait pas rigoler. La carte postale arriverait dans les boites aux lettres du hall gigantesque dans lequel elle aimait jouer à cache-cache les dimanches après-midi. Prendre l’ascenseur, déambuler dans les allées et les hall d’immeuble était une attraction citadine pour la petite fille de la campagne. Elle devenait importante, elle allait « en ville », place Maréchal Foch. Il ne fallait pas oublier de préciser l’allée, des noms de fleurs qui venaient adoucir l’adresse de Maréchal. Iris, Jonquilles, Hortensia. Pour eux c’était Iris. Elle aurait préféré Jonquilles, c’était plus doux. Trop de I dans Iris, ça sonnait strident mais ça allait bien avec ses ongles rouges à elle et ses costumes à lui, des gens bien droits. On choisira une carte sérieuse, des paysages plats, pas de cartes à petits cœurs ou à chats en vacances, ces pauvres animaux à qui on ajoutait des lunettes de soleil pour faire vacances. Non, cela aurait été de mauvais goût, il fallait adapter l’image et s’appliquer pour recopier l’adresse.  

Rue de l’ Onzon. Jamais elle n’avait cherché pourquoi. Tracer le Z comme dans le cahier d’écriture, pas comme Zorro, un z minuscule sans lignes sur la carte postale pour savoir jusqu’où faire descendre la boucle, un z dans le vide. Un nom magique, comme dans les contes. Pourtant la maison n’avait rien d’enchanteur, on y sentait un relent d’humidité et de sent bon acheté la pour masquer, mais cela ne marchait pas bien, le mélange lui donnait la nausée mais il ne fallait pas y penser. Les murs gris souris et les volets de bois foncé marquaient le deuil, pourtant lointain. Il se serait suicidé dans le garage. Il fallait vivre au-dessus, comme si de rien n’était, avec sa photo sur le meuble Mado. La carte postale viendrait lui tenir compagnie quelques temps avant d’être soigneusement rangée dans le tiroir, comme la mort, cachée au sous-sol.

Elle ne se souvenait plus des autres adresses du petit-carnet-classeur- à-anneaux- clic -clac -et-carreaux -toujours-trop-petits qu’elle avait aujourd’hui perdu. Son Mac dernier cri n’avait pas toutes les réponses, il fallait se résigner à oublier et penser en adulte, à étendre le carnet d’adresses virtuel, celui des amis des réseaux dont on ne connaissait jamais l’adresse, et penser aussi à appeler SFR pour que son adresse  postale ne figure plus sur la toile, pour ne plus avoir peur qu’il la retrouve. Fermer les lieux, se terrer dans un coin anonyme et ne plus recevoir de cartes postales.

A propos de Marie-Caroline Gallot

Navigue entre lettres et philosophie, lecture et écriture.

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