#photofictions #2 | fleurs sans public

Longeant les groupes qui attendent les bus passant porte de l’Oulle, debout ou cul sur pierre ou banc de plastique et pieds en révolte contre les graviers, voyant un buisson grillé et malmené, je me suis souvenue d’un jour d’avril il y a trois ans, au temps de grand calfeutrement, quand tous souffraient tant de solitude que j’en étais presque contaminée, mais que c’était tel plaisir de marcher seule entre fleuve et remparts, de ce jour où j’ai réalisé l’absence totale de voitures, les seules présences étant une grande silhouette promenant un chien et un petit vieux, mon contemporain à l’allure de santon, qui franchissait avec une assurance joyeuse une bretelle de l’échangeur répartissant le flux absent entre la rive du fleuve, le tour des remparts, le pont et l’entrée dans la ville au prix de boucles, changements de niveaux, contre-sens parfaitement incompréhensibles. Sourire, avancer, aborder le fouillis le plus important de chaussées et découvrir que je marchais au cœur d’un jardin que je découvrais avec émerveillement. Seule dans cet espace devenu mon domaine traverser les bandes de bitume, plonger main dans ma poche, sortir mon appareil, capter, en tentant de choisir la lumière, la hauteur et l’angle de la prise de vue pour effacer les routes, cette campagne miniature que les jardiniers semblaient avoir créée pour leur seul plaisir avant de l’abandonner, ni les piétons se tenant à distance du flux ni les passagers des voitures emportés par leur vitesse et aveugles à tout ce qui n’était pas panneau de direction n’en profitant. Commencer par l’image rituelle des deux grand micocouliers penchés l’un vers l’autre, se mariant, sur le talus portant le pont, fouler l’herbe, traverser un ruban de l’échangeur, se pencher vers une anarchie de fleurettes bleues éclairées par un rayon de lumière laissant dans une demie pénombre le massif qui les dominait : une longue bande de hautes marguerites alignées comme des soldats de bois sur deux rangs que des arbustes épineux inconnus de moi venaient bouleverser par l’irruption irrégulière de leurs branches, suivre une courbe qui monte doucement, se retourner vers le fleuve, plus bas, plus loin, un désordre de fleurs multicolores, comme une tapisserie, encerclant un groupe d’arbustes portant de lourdes coroles froissées en camaïeu d’ocre, de souffre, de jaune, tourner le dos au grand rectangle de terre battue du parking maintenant vide, un tronc lisse portant une sphère de feuilles et de leurs blanches se détachant contre le bleu du ciel, le viser en évitant l’allée qui surplombe le bout de route où je suis, une péniche, le fleuve, remonter vers les arrêts de bus, m’arrêter et m’accroupir devant un fouillis de paquettes, d’herbes, d’épineux, de coroles oranges, de fleurs d’un bleu violet, de feuilles d’un vert tendre, penser ravie à une brume colorée dans la lumière, tenter une photo qui dise ces mots, me pencher sur l’appareil, regarder l’image, la trouver trop nette, recommencer en bougeant l’appareil, sans rien régler et trop vite, obtenir un flou sans intérêt, penser tant pis, et entreprendre de marcher un peu, juste pour marcher jusqu’à la porte de la Ligne pour profiter du kilomètre autorisé.

image Brigtte Célérier – Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

8 commentaires à propos de “#photofictions #2 | fleurs sans public”

  1. « m’accroupir devant un fouillis de paquerettes, d’herbes, d’épineux, de coroles oranges, de fleurs d’un bleu violet, de feuilles d’un vert tendre, penser ravie à une brume colorée dans la lumière, tenter une photo qui dise ces mots,  » complètement à la promenade avec vous… vous  » seule dans cet espace devenu votre domaine  » et vos mots qui délivrent si bien le temps