#photofictions #02 |choses mêmes

Les fils autour de l’ampoule, d’anciens fils électriques, trois en deux couleurs, là où la vigne s’arrime au mur (lueur scialytique de l’ampoule halogène qui éclaire à minuit l’auvent du jardin). Le clou du mur de briques, rouillé à tête plate; un tortillon de vigne ou de fer resté accroché au clou, il rouille lui aussi: ce fil à linge qui aura cassé, un jour d’orage et de grande lessive, mais tu n’habitais pas la maison, pas encore : tu imagines. Tu appuies sur le déclencheur. Un trou dans le mur d’une maison à Amorgos, son île à elle; derrière la maison les cendres enterrées en pleine terre font jardin: roses en vrac dans le viseur; des gamelles de ferraille recueillent l’eau de pluie qu’on attend, la pluie qu’on attend toujours sur son île. Son absence au premier plan sur l’image qui n’existera pas. Et photographier l’entonnoir pendu à la chaine et photographier la bassine où la peau des figues pourrit, son écharpe en soie jaune comme le début d’une phrase, un soulier. La mer, les murets clôturés, le paysage minéral: hors champ. La pluie celle qui ne sera pas venue sur son ile, qui déferle en rideau et inonde la porte vitrée de la cuisine à Saint-Leu-la-forêt : son sillage. Les fenêtres brouillée en filtre. Plans sur plans, calques sur calques: le temps (sans profondeur de champ). Les traces d’eau sur le verre resté à table: à quoi tu penses quand tu mets au point (le verre à dent sur la table de nuit dans cette chambre où le visage criblé d’ombres a fermé les yeux), celles du vin bleuissant dans le cristal d’un lendemain de fête, les traces de calcaire, vitrail dérisoire de la rue Véron, la vitre d’une autre île, cette fenêtre au nord du sud et derrière le jour point: l’enchevêtrement de branches du noisetier, la mer à quelques brassée d’air quand la boule de feu anadyomène brouille les bleus, ce que tu devines dans la crasse du carreau, ce que tu fixes à cet instant : reflets d’or du levant dans la crasse. De New York l’homme de Brooklyn au chapeau en image d’Épinal, le Calder des tours, la guillotine d’une fenêtre avec ton reflet ou le sien comme un souvenir déjà  ancien et sur le toit terrasse la bosse luisante d’une cheminée d’aération dénote l’ailleurs.
Dans les choses, les mêmes ici, chaque jour voir: le lit défait; le lit tendu de frais; les livres du lit ou quelques mètres de tissus en voilage; du linge posé… tout dans le contrejour d’une fenêtre. Les choses ou leurs reflets: les voir aussi dans les miroirs à la dérobée, en prenant tout le temps qu’il faut.
Images journal: comme partir loin dans l’ordinaire. Poussières. Rebuts. La lumière récrit l’histoire. De permanence une apparence. Les mêmes choses aux mêmes endroits chaque jour ne produisent pas les mêmes reflets: l’insoupçonnable remuement de rien avec le hors champ en mémoire. La même chose au même endroit dans la lumière de ce jour là : avant l’extinction du soir, la même après l’orage, elle à cru sous l’aplomb de midi. Présences crient sans bruit. ( le cri sourd du petit tas de fraises dans la nature morte de Chardin). Un sac plastique pendu à la poignée d’une porte, des ombres lui font tête. Miettes et fruits sur la nappe cirée au motif mexicain que le soleil a blanchi; le fauteuil en contre jour, ses noirs lumière, ses veloutés de nacre. Sur la scène de l’ordinaire: leurs injonctions à être. L’angle du passé ou du canapé ?
Des plis et des creux, la théière du matin au soir sur la table avec son immobilité qui se déplace… leur appel? Ce qui persiste d’un visage en elles. Les choses plutôt que les gens? Ça lui arrivait de photographier les gens mais frontalement en les faisant poser. Poser : les rendre immobiles comme les choses et attendre un signe du visage. Un tremblement …

pas dans la structure demandée (ça se fera après autrement en deuxième texte ou pas) il faudrait c'est vrai mettre de l'ordre dans tout ça et préciser... il faudrait parler des choses (photographiées avec les oreilles et les yeux sans appareil ni carnet) celles des trajets en train, celles des marches dans la ville celles où l'on attrape au vol perd/garde. 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

6 commentaires à propos de “#photofictions #02 |choses mêmes”

  1. «  La lumière récrit l’histoire. De permanence une apparence. » Merci Nathalie Holt. Qu’importe la structure demandée quand l’inventaire a une telle présence et cette force poétique. Merci Nathalie.

  2. Bonjour Nathalie
    Ton magnifique texte nous fait partir loin dans l’ordinaire… très loin !
    Merci pour toutes ces évocations finement taillées dans la lumière.

  3. le parti pris des choses – je suis d’accord – les objets et les regards portés sur eux – très évocateurs – tu sais quoi : l’image de celles et ceux qui n’y sont pas ou plus tandis que les objets, oui,avec le temps qui passe : c’est la définition de la photographie – (après Amorgos…) (merci hein) (et la pyramide de fraises, aussi)

  4. je dois y retourner pour mieux voir le trou dans le mur, et le clou et le fil de fer
    et peu à peu je vois et reconnais tes images
    je ne sais plus ce qui était demandé, si ça répond ou pas, n’importe… je m’en moque… et je vogue au bord de tes images et je garde la trace des corps qu’on immobilise pour les saisir