#photofictions#01| Les nuphars jaunes

Il était joyeux, ce n’est pas si souvent. C’était même la première fois depuis bien longtemps. Léger, souriant, drôle. Ils se promenaient sur le chemin qui longe la Marne, à deux pas de chez lui, ils allaient la longer jusqu’à Joinville, où elle vécut enfant. Les abords de la Marne sont pour elle pleins de souvenirs, cours séchés en longues promenades de l’écluse à la Varenne, cheminement  jusque chez une amie au parc Saint-maur qui habitait une vaste maison en bord de rivière, à deux pas de chez lui. Il n’a pas connu tout ça, son fils. Mais il habite ici maintenant, lui rendre visite est à chaque fois l’occasion de refaire ce chemin, de reconnaitre les lieux connus, s’affliger de certains changements, en apprécier d’autre, les bords de Marne n’étaient pas si bien entretenus. Elle s’est arrêté : des nénuphars ! elle ne se souvenait pas en avoir vu dans sa jeunesse, des nénuphars sur la Marne, peut-être avait-elle oublié, elle qui pense ne rien avoir oublié, et surtout pas ses rencontres avec des fleurs. Elle s’est arrêté, a extirpé son téléphone de son sac, a pris une photo rapide, puis deux, puis quatre, peu confiante sur le résultat. Il a à sa grande surprise dégainé son téléphone lui aussi, pour saisir les nénuphars lui aussi, en une seule prise. Ça l’a surprise, il n’est pas très « végétal » généralement, il peint des portraits, des nus, des êtres bizarroides, des formes, des monstres, des fossiles, des fleurs jamais. Il a poursuivi son chemin tandis qu’elle cherchait un meilleur angle, avec ou sans premier plan, zoomant pour mettre en valeur ces fleurs pas bien grosses. Les nénuphars, elle n’en a pas beaucoup vu dans sa vie. Les premiers, ceux de Monet, croit-elle. En même temps, vague souvenance d’une fleur qui l’aurait intéressée enfant, à l’âge où les fleurs ne l’intéressaient pas beaucoup sauf une fois l’an, le jour où ils allaient choisir un bouquet pour la fête des mères, et pour choisir, ils choisissaient, ils y mettaient le temps, bien plus qu’elle à le regarder, son bouquet. Donc Monet, ses nymphéas peints, souvent visités les jours où elle séchait les cours, prenait le RER, changeait à Nation, puis la ligne Vincennes Neuilly jusqu’au Louvre, les jardins du Carrousel, puis les Tuileries, toute à ses pensées tristes et à la satisfaction en même temps d’être là plutôt qu’en salle de classe. Puis l’Orangerie, et les nymphéas, juste les nymphéas, ça devait être gratuit, ou sa carte de lycéenne lui assurait la gratuité, elle ne sait plus, il y avait trois salles dans son souvenir, peut-être qu’elle se trompe.  Les salles étaient désertes, elle s’y sentait bien, regardait, observait, preférait le panneau où l’eau est presque prune. C’était la couleur de ses pensées. Elle se voyait s’y noyer. De vrais nymphéas, elle en a vu plus tard au Parc Floral, ou peut-être d’abord à Giverny, dans le jardin de Monet. Ceux-ci ne sont pas si magnifiques, les fleurs comme de gros boutons d’or juchés au dessus de feuilles glauques, les tiges tendues sous l’eau brune, les feuilles brisées et pourrissantes surnageant avec difficulté. Et toujours la même fascination pour cet aspect de plats posés sur l’eau. Elle a pris ses photos très vite pour pouvoir rejoindre son fils,  il a de bien grandes jambes, regrettant  le manque de belles inflorescences,  de lotus colorés et gras. Chez elle, elle a trouvé sa photo plutôt mieux qu’attendue, surtout la première prise, elle s’en est inspiré pour peindre une petite table. S’est demandé si lui aussi les a peints chez lui, les nuphars jaunes. Il était si leger, si joyeux…

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

15 commentaires à propos de “#photofictions#01| Les nuphars jaunes”

  1. Bonsoir Catherine
    Des souvenirs d’école buissonnière où n’entrent pas les nénuphars tout d’abord.
    Puis d’autres chemins de réminiscence.
    La photo pour fixer et redonner enfin. Et le fils, qu’en aura-t-il fait de ces fleurs ?
    Tu nous emmène doucement dans ta promenade, et c’est un régal de lecture !
    Merci.

  2. Merci Fil Berger contente de te retrouver ainsi que tes toujours si généreux commentaires, ça fait tellement de bien!

  3. Ah je ne suis pas la seule à méconnaitre ! Merci Brigitte, quant à la seule prise, mystère…

  4. Le sentiment que ce petit texte est un premier jet qui pourrait s’amplifier, être étiré sur une longueur infinie, avec des sinuosités, dans les détails, le chemin et le souvenir, allongé en zoomant, comme le serait le parcours d’une fourmi le long de fractales…

  5. Très beau ce chemin bord de marne pleins nénuphars. Dit l’enfance et la maternité fils. Dit beaucoup en douceur vert. Merci

  6. On chemine avec vous, Catherine, sur ces bords de marne et on se prend à rêvassser à d’autres promenades avec les surprises que cela peut nous réserver. J’ai bien aimé comment cela vous renvoie sur les émois, que je partage, devant les nymphéas. Merci

  7. Bonjour,
    Merci pour cette balade entre nostalgie et faim de vivre, j’aime beaucoup, une belle esquisse de la relation mère/fils, et de cette sourde inquiétude qu’on a toujours pour « eux »,

    • Ah la sourde inquiétude qui parfois tonitrue, heureusement qu’on ne l’anticipe pas! Et oui, faim de vivre, j’avoue! Merci Catherine, heureuse de vous retrouver ici.

  8. (contrairement à lui, je suis très « végétal »…)
    alors happée par tes lignes
    et complètement heureuse de rentrer dans ce texte qui se déroule juste au rythme qu’il faut et qui cause de tant à la fois, cette photo si magnifique qui m’a rappelé les bassins photographiés par Mireille Piris où se reflètent les végétaux et les lumières
    merci pour ce petit voyage avec lui, toi et Monet…

  9. Merci Françoise de ta lecture. sur la page FB de Mireille, il y a de très beaux nénuphars… On voyage, on voyage…

  10. Catherine,
    Plaisir de te lire.
    Une forme de liberté dans sécher les cours, une forme de sérénité dans les salles désertes et une forme d’aventure dans ces chemins que le personnage parcourt. J’apprécie.
    Et l’envie de rencontrer ce fils, chouette gars dont tu dessines les contours dans ton texte.
    Merci.