#photofictions #02 | Comment une image peut-elle être moi ?

Il m’a dit tu sais bien que tu es jolie. J’ai répondu non je ne sais pas, je ne vois que mes jambes mon ventre et mes bras et il est vrai que j’aime bien mes jambes et mon ventre et mes bras. Ma peau est lisse et blanche. Il a dit je vais te prendre en photo, comme ça tu te verras, tu te verras en entier. Qu’est-ce que c’est que « enfoto » ? Il a sorti de sa poche un petit boîtier noir qu’il a mis sur son œil gauche, il a fermé le droit, je lui ai dit pourquoi cette grimace, il m’a dit souris, je n’ai pas vu de souris, mais ça m’a fait rire. J’ai entendu un petit bruit de ressort. Il m’a dit regarde, il m’a montré une image dans son petit boîtier noir, une image de fille qui portait les mêmes sales vêtements que les miens. C’est qui ? C’est toi. J’ai ressenti comme un vertige, moi ? Moi ? Je ne te crois pas ; je ne crois pas être aussi petite que ça. C’est une image, seulement une image. Comment une image peut-elle être moi ? Une si petite image dont on ne peut pas toucher la peau lisse et blanche, j’ai essayé pourtant, et il m’a dit ne mets pas tes doigts là ça va laisser des traces, de toute façon j’ai bien senti que ça n’avait pas le toucher de ma peau lisse et blanche, alors Moi ? Je ne comprends pas. C’est une image, Innocente, juste une image. Il parle bizarrement, hier il me disait que j’avais la démarche d’un chat, c’est une image seulement une image, je ne vois pas bien le rapport entre les deux. On va t’acheter une robe, tu en as bien besoin, et tu pourras te regarder dans le miroir. Je ne sais pas trop si j’en ai envie. Toutes ces expériences me fatiguent un peu, tout est trop mouvant, trop différent, trop nouveau, je voudrais me reposer un peu. Il faut te débarrasser de cette odeur, Innocente. C’est vrai, j’ai encore l’odeur de tous ces hommes sur moi, je ne la sens presque plus, mais parfois il suffit d’un petit mouvement et elle se jette sur moi. Je suis d’accord pour m’en débarrasser. Prends-moi « enfoto » maintenant. Il m’a tendu son petit boîtier noir, tu regardes dans ce petit œilleton, ferme un œil sinon tu ne verras rien, surtout ne bouges pas, quand je serai au milieu de l’image, tu appuieras là. Et c’est vrai, c’était bien lui au milieu de l’image, lui en tout petit, si petit que j’aurais pu le prendre dans ma main ou le mettre dans ma poche, et ça serait vraiment bien  si je pouvais vraiment le prendre dans ma main ou le mettre dans ma poche,  car son image est plus petite que le boîtier noir où maintenant nous sommes réunis. On est tous les deux là-dedans pour toujours ? Oui pour presque toujours, il m’a embrassé sur la joue, maintenant, allons t’acheter une robe, Innocente.

Bon ok, détournement flagrant de proposition pour nourrir chantier perso... .

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

17 commentaires à propos de “#photofictions #02 | Comment une image peut-elle être moi ?”

  1. Bonjour Catherine
    Si détournement il y a, il est très émouvant et puissant !
    Merci pour ce beau texte !

  2. J’ai adoré ! merci pour ce texte qui m’a évoqué la phrase de Picasso quand quelqu’un faisait des commentaires sur ses portraits cubistes en disant ce n’est pas une femme. ! Il répondait en demandant au monsieur en question de lui montrer une photo de sa femme et il s’exclamait horrifié « mais elle est vraiment toute petite ! »
    Au-delà de la boutade (je ne sais si elle est vraie, mais peu importe), j’ai beaucoup aimé ton « détournement » tout en poésie. Bravo !

  3. Je ne connaissais pas l’anecdote, vraie ou pas vraie, elle dit vrai. et merci beaucoup d’être passée

  4. Ce détournement est merveilleux, Catherine. Ainsi que les différents décalages produits par le texte: Proportions, savoir et découverte, habitude et nouveauté. Superbe ! J’ai beaucoup aimé !

  5. (pour la robe je ne suis pas certain – c’est toi qui vois) (pour le détournement, tu nous expliqueras… en tout cas, l’ambiance et les acteurs et l’objet – le sujet – le tour – le jeu – tout ça y est : on te voit, peut-être bien…) (merci)

    • Merci Piero et si, si la robe c’est un bout déjà écrit pendant les 40 jours, et non, non, même pas moi !

    • Un arrière-plan sourdement inquiétant dans ce beau texte intriguant dont j’aimerais bien lire la suite…

      • Merci Muriel et Marie de votre lecture, le texte change de nature à chacune, c’est plein de surprises

  6. il me semble bien me souvenir de cette histoire de robe (on la trouve souvent aussi chez Nat H, la robe), et quelle merveille de petit récit tout en boîte, tout en amour…
    réjouissant
    et les deux corps désormais contenus dans le boîtier noir

  7. AH ben oui qu’est ce qu’il a ce garçon contre les robes? c’est important les robes… Merci infiniment Françoise de ce commentaire si généreux