#photofictions #02 | une trace au temps

© Nevena Lukic

Je ne suis pas d’ici et pourtant. Derrière cette porte mon arrière-grand-mère est née. Par hasard parachutée ici il y a quelques années, je découvrais l’histoire. Pragmatique le hasard existe. Y-a-t-il de force plus grande que la mémoire qui ne se dit pas ? Revenir à la langue base. Mes filles chantent Occitan, je suis née 93 béton, vécu 75 béton, 93 ruine, 77 gris puis 34 soleil. Mon corps ne fond pas sous la chaleur, il l’a recherche.  Est-ce que les cellules gardent tracent de la langue déliée sous terre ? Il est dit que les ovules se forment dans le fœtus d’à peine 4 mois, dans le ventre donc, les cellules se mêlent nous sommes l’énergie mère et grand-mère. Il serait parfois doux de croire. J’irais photographier dans la mémoire ce bébé qui nait dans la grand rue d’un village de l’Hérault dont je n’aurais jamais entendu le nom jusqu’à la généalogie. Moi qui croyais ne pas m’intéresser je suis rassénérée de voir des racines puiser ou poser mes enfants. Comme si mon ventre revenait source, une base éloignée mais pas tant, comme si l’échappée au doléances familles était impossible, comme si une force vive pousse dans le dos pour retrouver une terre oubliée, comme si le corps boit l’air qui t’appartient un peu. Je suis d’ailleurs et pourtant d’ici, j’ai ramené mes pieds à l’endroit. Je n’espère pas pour mourir demain. Si je baisse la tête et ne regarde que le sol l’ancien se mêle à la renaissance, les pavés rayés, certaines maisons gardent traces. Dans les familles mouvantes la trace se perd, les maisons vendues ou jamais achetées, les photos dans des boîtes égarées, reste l’absence des sourires sur les photographies sérieuses d’époques, celles ou l’on pose, garder prestance. Mon corps donc issue de cette porte. Derrière, une femme qui deviendra une mère puis une grand-mère nait en 1905 , la mort avant d’être arrière, sauf que non puisque nous sommes nés, une dizaine issue de cette porte, puis encore une portée d’arrivants de nos ventres une arrière arrière derrière cette porte à pointé une tête puis les épaules dégagées, peut-être l’a-t-on retourné comme lorsqu’on croyait que pleurer le bébé dégageait les poumons, tête en bas claque fesses, maladresse transfusée de bras en bras, de ventre en ventre. Il s’agit donc de ventre, de nombril, et de porte. Derrière la porte ne peut exister ce bébé ici et maintenant pourtant je glisse mes doigts sur la poignée par hasard arrivée ici. Depuis les bébés sortent des ventres à l’hôpital, plus derrière les portes de villages grondant. Je suis arrivée avec un fœtus dans mon ventre, une prémisse, a grandi ici, à quelques pas de cette porte qui a ouvert les cuisses d’une arrière arrière à l’accent chantant, je ne sais rien mais des cousins sûrement parcourent les rues. Des Callas il y en a pleins par ici dit le cimetière, d’ici on ne part pas beaucoup quand on y est né, sauf pour les études et retour. Ce bébé une anomalie atterrissant dans le Tarn petite fille. Je ne pensais pas être d’ici pourtant je suis là et parcours les oliviers et la terre argileuse qui ne se laisse pas étouffer si la pluie décide de se montrer virulante. La porte, sûrement inondée plusieurs fois abritait-elle de la tendresse ? Elle n’aimait pas les filles, est ce parce qu’elle n’avait pas été aimée ? Si je pouvais revenir avant, j’immortaliserais ses peines d’enfants, peut-être qu’une image douce transfigurait l’avenir ?  Ma maison n’était pas née au moment de son premier cri mais du mien si. Pas d’ici et pourtant la trace me suit. Des petits pas se fondent ancêtres et c’est étonnant.

6 commentaires à propos de “#photofictions #02 | une trace au temps”

  1. Bonjour Jen
    Toute une généalogie derrière les portes.
    Beau texte ample dans ton « extrême proche ».
    Merci beaucoup.

  2. C’est très beau cette manière d’envisager la généalogie avec les passages de porte, et les ventres qui portent. Très ancré et touchant.

    • Merci à tous les quatres de votre passage. Je n’ai pas eu le temps de revenir ni de faire le tour des textes mais je m’y attèle!

  3. Mes filles chantent Occitan, je suis née 93 béton, vécu 75 béton, 93 ruine, 77 gris puis 34 soleil
    comme si une force vive pousse dans le dos pour retrouver une terre oubliée, comme si le corps boit l’air qui t’appartient un peu.

    J’aime beaucoup. Merci.