autobiographies #07 | portes à la volée

#07 PORTES A LA VOLEE nov 21

Respiration des Parisiens aisés : la maison de campagne à quelques kilomètres. Celle de mon grand-père maternel avait été plusieurs fois transformée, comme en témoignait le portail rouillé qui ne servait plus à rien, l’espace n’étant plus assez grand à l’intérieur pour y garer une voiture avec ce muret de pierres qui barrait l’accès au reste du jardin de 1500 m2. Une chaîne réunissait les deux ventaux rouillés et inutiles, maintenus fermés par un cadenas. Une double porte sur rien. Et un hangar en face où restait une carcasse de bateau en témoin des promenades sur le Petit Morin, faisait garage. Non, on entrait à pied, par la porte à côté, dont le bas était au fond plein, et le haut une grille de cinq barreaux. En tournant la poignée ovale, on actionnait une clochette placée dans la boîte aux lettres toujours béante -le courrier, factures EDF et communications de la mairie, tombait et traînait dans la pluie dans la boue avant qu’on ne le ramasse. Habitude. Le son était unique, joyeux, clair, et n’appartenait qu’à ce XX rue de Coulommes, Quincy, Seine-et-Marne, prévenant qu’on entrait. A l’autre bout du grand terrain   aux différentes parties, un petit muret restait d’ailleurs d’une ancienne séparation- un grillage donnait sur le chemin qui passait là, séparant des champs cultivés et, au-delà, d’une forêt, et longeant plusieurs potagers avec l’habitation au bout, comme celle-ci. C’est comme si la porte de devant était celle de l’entrée, et celle-ci, au bout du bout, en fer, à claire voie, de guingois, munie d’une chaîne avec cadenas, le tout compliqué à démêler, entre les hautes herbes qui envahissaient s’enroulaient autour de la ferraille rouillée, il fallait le mériter, faire le tour par la route et le chemin en aval était plutôt indiqué, mais on y gagnait là la clé des champs sauvage et immédiate. En ville, étrange installation une fois traversée l’entrée, que cette porte, gothique comme tout le mobilier du rez-de-chaussée. Sculptée de motifs géométriques, avec un cercle de fer pour poignée, la partie mobile se rattachant à un panneau fixe, l’encadrement de la porte, de la même ouvrage, toujours maintenue ouverte, menant à la salle-à-manger et au salon attenant, avec cheminée de château, bonne tablée, larges fauteuils tapissés, table de change suisse, crédences en beau bois de chêne, forme en ogive, roman, décor théâtral, ici vous entrez dans une maison gothique, au goût raffiné et franc du collier, pas le Louis XV des appartements du 16ème avec guéridons, moquette ivoire et angelots dorés au mur. Son bois sombre que viendront rendre chaleureux les tapisseries aux rouges grenats, verts sapins, et doux visages de vierge. En enfance, l’entrée de l’école, rue Saint-Denis, proche de la mairie, les adultes discutent, la directrice reçoit les parents, les petits qui arrivent finissent par être absorbés, dans cette mer indistincte, vers une entrée secrète qu’ils finissent par découvrir, une vague les amenant là, ce pourquoi ils sont venus, la classe de maternelle. Atteignant la moitié de la taille d’un adulte, carrée, en plein bois, peinte jaune, une porte qui arrête, filtre  – les mères sont retenues, on se demande comment fera la maîtresse, ce n’est pas une maman il est vrai. A-t-elle un verrou ? Elle reste ouverte et les enfants entrent un à un, prêts à se courber eux aussi, par la porte méchante. En paysannerie : découverte de ce système ingénieux de porte de cuisine dans une demeure devenue bourgeoise, deux panneaux dont l’un, plein, et l’autre vitré, désolidarisé à loisir. Une poignée permet d’ouvrir les deux panneaux quand ils sont indissociables, ou bien le loquet actionne la partie haute seulement. La porte se fait fenêtre, ne permet pas de franchir mais de regarder, aérer ou passer un objet, ou encore discuter sans laisser entrer. Les mœurs y sont très travaillées, et les nuances de la convivialité, du rapport rapproché, ou pas. Durable dans le temps : un pigeonnier à l’origine formait un bâtiment annexe à la maison de campagne grand-paternelle. En fait cette bâtisse avait un étage, là où se trouvaient les ouvertures, petites ogives comme romanes, là où se trouvaient les oiseaux, et restait inutilisé. Le rez-de-chaussée servait à entreposer des tuiles, les outils de jardinage, …  la porte gonflée d’eau, couverte de mousse, fendue, se dépiautant, laissant le jour à claire voie, et dont les charnières/gonds de grosses ferrures rouillés étaient toujours vaillantes, marchaient encore : elle s’ouvrait, le bois était ligneux comme une écorce, mais infiniment friable, il tenait. En raffiné : tenir dans sa paume la petite poignée ovale en cuivre à dessins striés et petits points, picots, délicieuse géométrie en relief, faisant une matière fraîche et lisse à tenir au creux de la main, il fallait l’empoigner fermement, d’autant plus que l’étroitesse du dispositif rendait l’opération difficile, rapprochée qu’elle était de l’ouverture, petite porte petite attache et grand effort pour la tirer de ses gonds. Il y en avait plusieurs dans l’espace de cet appartement d’un immeuble XIXème siècle, transformé en bureaux, et qui avait gardé cette élégance, cette coquetterie des poignées, remarquées par bien peu.