PROJETS OU PAS…

Celle qui a géré sa famille de onze enfants, sévèrement et avait une bonne pendant que son mari se croyant encore avec tout ce qu’il faut de côté allait dans la campagne à cheval, un peu dandy. Celle qui a disparu vers les quarante ans, mère de la précédente, laissant huit enfants petits, il a été dit qu’elle était un peu folle que ce n’était pas pour ça et on n’en a plus jamais parlé. Celle qui n’a pas accueilli son fils de cinquante ans ne supportant pas qu’il se soit marié alors qu’il était prêtre. Celle qui travaillait de 21h jusqu’à minuit une heure du matin en remplissant des colonnes de chiffre dans les « contributions », récapitulatifs et surveillance des impôts pour améliorer ses finances personnelles. Celle qui récitait des « je vous salue Marie » en chapelets pour empêcher les avions de lancer des bombes sur sa maison assez près d’une gare, grâce à Dieu ils ne sont pas tombées sur sa maison, ils sont tombés sur l’école maternelle juste à côté! Celle qui est restée sœur cloîtrée pendant 70 ans (elle avait atteint 105ans) rêve mystique, fiancée de Dieu, le monde parcouru entre un lit le réfectoire et la chapelle.
Celle qui « a fauté » avec un autre, est tombée enceinte, et que son mari recueillera sans plus rien dire mais avec affection pour elle et la petite. Celle qui a aidé à sa mesure les juifs menacés pendant la dernière guerre, elle y avait perdu son mari. Toujours bien coiffée et maquillée, heureuse avec ses trois filles, sans témoin et sans tralala. Celle qui était violoniste dans un orchestre de Clermont-Ferrand, qui faisait écouter de la musique dans ces palais dédiés, à l’acoustique parfaite mais aussi parfois auprès des petits enfants. Celle qui aurait été une bonne grand-mère, sur sa photo elle semble toute menue, ses petits-enfants n’ont pas pu la connaître, elle est morte un peu trop tôt. Celle qui cousait des pantoufles en feutrine, semelles de plusieurs couches de cette feutrine pour ses enfants, juste après la guerre, il n’y avait pas trop d’argent. Celle qui a frôlé la folie devant son atelier dans une usine de machines à coudre où elle rêvait d’être pilote : Elle avait lu l’histoire de Marie Marvingt, infirmière, correspondante de guerre et pilote qui était restée 47 jours déguisée en homme pour rejoindre le front. Elle finira par sortir de l’usine, passera et réussira le concours d’infirmière et le restera.
Celle qui a travaillé à la ferme durement et pauvrement attendant que ses fils reviennent riches des Etats-Unis. Celle qui a toujours refusé que ses enfants l’aident dans son travail pour qu’ils puissent étudier comme il faut, elle n’avait pas pu elle. Celle qui allait tout le temps au cimetière nettoyant ses morts avec amour et continuant encore avec les morts d’à coté par respect, elle y trouvait une paix joyeuse et sereine. Celle qui semble sur la photo palie si ouverte et contente avec mari et enfants dans la cour de la ferme avec cochons poules et chiens juste devant la porte de sa maison. Celle qui était venue à 25 ans, suivant son mari, de Belgique, ce n’était pas si loin, mais elle parlera toujours le flamand, acceptera de vivre dans une toute petite ferme, y fera tous les travaux y compris aux champs, et dans sa cour, fera pousser de multiples fleurs, sur les bordures, le long du chemin, devant la vierge ramenée de Lourdes. Celle qui a eu la vie dure et est toujours restée confiante, battante, elle qui ira re semé derrière son mari qui buvait trop, et complètera la si petite retraite des agriculteurs en filant en mobylette faire des ménages à droite à gauche.
Celle qui était venue d’Allemagne de l’est, avait travaillé comme infirmière et n’avait plus pu supporter ce trop de télévision, trop de marchandises dans les supermarchés et l’abandon de son compagnon, et s’était laissée mourir de trop de boisson, de drogue, d’inactivité à 38 ans. Celle qui refusait de se nourrir pendant la guerre en songeant aux déportés, enseignante, philosophe et militante avec les ouvriers, celle qui a écrit « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale« . Celle qui se surprend à s’habiller en homme, s’y plait, le fait dans sa chambre à l’abri des regards et décide qu’elle jouera au théatre, mais des rôles pour homme. Celle qui ayant écouté de l’orgue souvent à l’église le dimanche ouvrait grandes ses oreilles et voulait devenir chef d’orchestre comme Roberto Benzi, elle rêvait d’une musique sortant d’elle pour dire les tremblements de la vie, la beauté du monde et les douleurs qui vont avec. Celle qui va de porte en porte, tous les matins, prendre des nouvelles de la mère d’abord, du père et des enfants , apporter des journaux et des prospectus avec les dates de réunion de la CLCV consommation, logement et cadre de vie, celle qui va à la rencontre de ses voisins. Celle qui, faisant tournoyer son parapluie au-dessus de sa tête sur une route de l’exode avec enfants mari et toutes les autres familles dans leurs voitures ou charrettes, engueulait les avions passant trop près, et criait à la cantonnade « Allez, allez, point de lamentations »

2 commentaires à propos de “PROJETS OU PAS…”

  1. oh quelle galerie ! et l’amitié qu’on ressent pour certaines
    et ce tableau final que vous nous offrez

  2. Et bien , Brigitte, voilà plusieurs fois que vous me mettez un petit mot, comme vous me confortez et m’amenez un grand bol d’air ! Merci beaucoup d’avoir commenté ce texte.