Sulfure bleu et blanc

1.
Sulfure bleu et blanc
Rêves du jour et de la nuit
Œil de voyance
Sphère cosmique
Abîme
Spirale d’effleurements
Silence énigmatique

Comme chaque jour la main s’est tendue vers le presse-papier, sulfure bleu et blanc posé sur une table pour récupérer une lettre ! Aujourd’hui je tourne et retourne autour de lui, le prends dans ma main, le regarde d’un œil tantôt perplexe tantôt mélancolique. Il est froid mais se réchauffe vite au contact des doigts. Sulfure bleu et blanc presse-papier, demi-sphère de verre un peu kitsch, translucide, rondeur parfaite, poids inattendu, plaisir du toucher, sensualité de l’objet qui appelle les effleurements. Gardien de papiers, maintenus en bon ordre, jamais victimes d’un courant d’air qui les emporterait mais prisonniers du poids de cet objet apparemment inutile.

2. Ne pas confondre sulfure objet en verre ou en cristal servant de presse-papier avec le sulfure nom de tout composé du soufre avec un métal par exemple. Mais ce nom a quelque chose de diabolique, le soufre n’est pas loin et la sensation olfactive ou figurée non plus « cela sent le soufre !!! » Et la première lettre S un serpent arrogant qui se dresse ! Tu viens de loin sulfure. Les baguettes et perles multicolores ravissaient déjà les Égyptiens et des plaques de mosaïque étaient réalisées avec le même procédé, à Venise puis Murano puis en Bohème, en Lorraine et dans la région parisienne. Toutes les incrustations sont issues de petites cannes en pâte de verre, façonnées à la main. Petite histoire survol d’une technique qui nous relie à bien des visages et regards portés sur de telles réalisations au fil des siècles. Tu vois, toi le sulfure bleu et blanc, aux mille fleurs, tu n’es ni de Baccarat, ni de Saint-Louis ou de Clichy, tu es un ersatz, probablement fabriqué en Chine, selon des procédés moins exigeants et complexes. Pourtant toi prolétaire sulfurien, tu parviens à exercer aussi un pouvoir de fascination. Te souviens-tu de ce voyage de jeunesse à Venise, il t’avait mis tel quel dans ma poche sans le dire. Ta découverte avait suscité un ravissement amoureux.

3. Objet de verre grossissant aux éléments visibles mais intouchables, s’y concentrent posées sur un fond bleu marine, entourées de bâtonnets accolés les uns aux autres, minuscules cannes aux multiples nuances de bleu de un centimètre environ qui semblent les contenir, et servir de rempart à toute agression, mille petites fleurs blanches au cœur bleu, aux six pétales rigides sans parfum, une fleur blanche centrale, la plus grosse semble le maître de ballet, tout autour d’elle d’autres fleurs à égale distance plus petites puis d’autres encore plus petites jusqu’aux dernières enfin minuscules, si le regard se fait insistant impression d’une ronde et de mouvements fugitifs, désir de la plongée, de la noyade dans ce monde petit et surprotégé, mais en même temps emprisonné. J’aime et je n’aime pas. Parfois j’ai envie de te briser à la manière de l’enfant qui tente de casser la boule transparente mettant en scène un paysage, un animal, un personnage, recouverts par la neige synthétique lorsqu’il la secoue. Objet fétiche, talisman, qui relie, réconforte la main abandonnée, contact sensuel avec l’extérieur, visibilité du dehors et du dedans. Je le regarde par-dessus, dessous, sous différents angles et lumières, et je ne vois jamais la même chose, vision un peu fractale qui m’attire dans un infiniment petit, voyage dans lequel s’enfonce souvent ma rêverie. Tu vois en essayant de te décrire, en essayant de t’atteindre, de te cerner, je me vois plonger dans un univers que je retrouve sans cesse, dans le travail d’écriture, je m’empare des replis colorés de la fleur de rêve, en me rapetissant je glisse sur le toboggan minuscule de chaque pétale et me laisse happer par la spirale invisible de son cœur.

4. Ce sulfure bleu et blanc aux mille fleurs ne vaut pas grand-chose, verre loupe avec des pièces incluses, technique simpliste à vague ressemblance avec celle réalisant d’authentiques et complexes sulfures. Pourtant il ouvre des horizons infinis et énigmatiques parce que le verre est grossissant et déformant, parce que suivant l’angle de vision la perception est différente et la rêverie peut surgir sans peine.

5. Témoin de vie et de mort toujours enlacées ? Présence fascinante de cet objet dans lequel un monde idéal est visible mais captif. Si mes mots sont vivants, précis et évocateurs, l’idée vous effleurera peut-être de le casser pour libérer toute son énergie intérieure, pourtant un pari que vous ne le ferez pas ! La contrée engendrée par l’observation du sulfure bleu et blanc est infinie. Si je regarde cet objet telle que je suis, alors je le vois tel qu’il est, enfin c’est ce qu’aurait dit Valéry !

A propos de Huguette Albernhe

Plusieurs années dans l'enseignement et la recherche. Passion pour l'histoire de l'écriture, la littérature . Ai rejoint l'atelier de FB en juin 2018, je reste sur la barque. Je vis actuellement à Nice mais reste très attachée à ma région d'origine, l'Étang de Thau, Sète, Montpellier et les Cévennes.

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