#techniques #01 | Le sentiment d’un bateau qui rentre au port après dix jours de mer chahutée

C’est le sentiment d’un bateau qui rentre au port, un bateau qui sillonne les mers en quête d’embarcations de fortune risquant de faire naufrage, le sentiment d’avoir erré à la dérive sans prendre le temps de se voir agir, le sentiment de venir à la rescousse pour éviter le drame, le sentiment du qui-vive jamais partagé, le sentiment de ne jamais pouvoir exposer le sentiment, le sentiment d’être un bateau vieux d’une centaine d’années, un rafiot mal rafistolé, un bateau hanté, vide et amer, de cette amertume grave et salée qui n’a pas le temps de désespérer, un bateau qui souffle, un bateau frappé par des vagues obscures, torturantes, amaigries par les années passer à frapper les coques des bateaux, sans motivation de frapper, mues seulement d’un caractère de sel, de masse, de violence, accompagnant le long des mers les bateaux anémiés de fatigue, des bateaux qui sentent, qui enflent à mesure que la nuit tombe sous la flotte, et peine que je te peine divaguent en a marrent des vieux secteurs ouest, ne plient jamais bagage, suivent le bonhomme de route du bateau baltringue, suivent le trajet des autres coques de navire, qui feignent au loin de ne voir personne, qui dédaignent les passages et vont de leur morgue de bateau au long cours, sans joie à l’abordage, sertis de folle écume qui crie dans les oreilles, avec le moteur à bateau qui vide une tête en moins d’une journée, qui ronfle et remplit les organes du visage et fait trembler les mains, le sentiment d’un coup de s’en tirer comme ça, sans avoir vraiment pu faire quelque chose, sans que ça titube et doute dans la caboche, ayant enchaîné les gestes bien comme il faut dans l’ordre, quand tout croule et hurle, corps penché sur le bastingage, la gueulante par-dessus la face, tout remue du plus profond jusqu’en surface saturé d’horreur, cette frayeur de voir s’élever les flots immenses, droits et drus sur ta carcasse, s’écrasent et remontent et boulonnent et bombent encore leur sac de vachards, il n’y a pas moyen de voir les écrans couverts de sel gluant, les lunettes sont devenues opaques, vêtements humides sur le dos, on devient lors un bout de vague tordu dans la rétine, on se repent même à vouloir autre chose, le sentiment dans la rétine qu’on n’est jamais rentré au port.      

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

Un commentaire à propos de “#techniques #01 | Le sentiment d’un bateau qui rentre au port après dix jours de mer chahutée”

  1. quand il s’agit de mal de mer, je ne peux qu’abonder — (en) mal d’humanité également
    (et l’impression que c’est écrit en pleine houle et s’accrochant tant bien que mal au bastingage…