#techniques #05 | Sceaux-de-Salomon

Quand l’amie est arrivée, j’étais en train d’écrire. Tu ne peux pas rester seule sans muguet aujourd’hui et comme je n’en ai pas trouvé dans les bois, j’ai fait un autre bouquet : ici, quand on était enfants, on disait que c’était le muguet du pauvre, souvent sans parfum, aux clochettes suspendues, celui qu’on appelle Sceaux- de- Salomon ; j’ai ajouté des jacinthes pour le bleu, des fleurs de Marie et une tige de lin. Ailes fraîches, vert tendre, blanc et bleu d’un carillon silencieux, entrée du printemps.

Mêler les deux, l’entrée de l’amie et celle du printemps mais pas seulement. Parce qu’au beau milieu de l’instant, j’écris. Au fond faut-il le dire puisque justement j’écris et que l’appellation un peu mystérieuse – Sceau-de-Salomon – qui renvoie à la cicatrice étoilée d’une tige disparue tient lieu de signe ? Ce n’est pas une fleur comme les autres : on dirait un carillon éolien dont le son blanc est silence. Elle est au cœur du bouquet, à la place du muguet officiel. Quand l’amie parle, c’est comme si sa voix se mêlait à la voix intérieure. Pas de guillemets. Et même plus : c’est le bouquet qui parle quand elle entre.

Sceaux-de-Salomon, par elle trouvés dans le bois ce jour-là :  carillon éolien silencieux entouré d’ailes vertes, de clochettes bleues et d’étoiles blanches. Bouquet de printemps : quelqu’un vient d’entrer dans ta solitude.

Nommer, comme on le ferait d’un épicentre. Là où semblait s’imposer la fleur porte-bonheur classique, ce n’est pas elle qui est éclairée. C’est sa remplaçante méconnue, sans les cornets de feuilles luisantes partant de la tige mais avec cette série de feuilles fixées au balancier de la tige comme des petites ailes relevées, en contrepoint des clochettes discrètes, pas tout-à-fait blanches. Dans le cadeau improvisé, suggéré par le bois et par la journée emblématique, le geste d’amitié qui cueille et recueille se fait texte, sous le signe d’un sceau, sauvage et sacré quelque part dans le printemps. Seulement, quelque chose à la relecture manque mais quoi ? L’ombre elle-même. Celle des sous-bois. Recherchée dans les éclats de lumière par les plantes qui larguent enfin l’hiver. L’ombre tendre, hospitalière. L’ombre, tiédie par les premiers rayons. Sur laquelle se découpent les silhouettes des Sceaux-de-Salomon. Sans elle, l’amie n’aurait pas vu l’embuscade tendue par le printemps. Faut-il  laisser l’ombre hors-champ, comme si elle n’existait pas ?

Désignés par l’ombre du sous-bois : les Sceaux-de-Salomon. En voyant embusqué le premier carillon blanc du printemps, l’amie qui passait par là n’a pas hésité. Elle a cueilli un bouquet sauvage, avec le muguet du pauvre au milieu. Et du bleu, du blanc, du vert tout autour. J’étais en train d’écrire quand elle est entrée, presque triomphalement, bouquet en main. J’écris avec les Sceaux-de-Salomon.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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