transversales #05 | protocole pour quand ça ne vient pas

Il y a toutes les fois où ça ne marche pas.

Marcher, marcher beaucoup, essayer des amorces dans sa tête, par où commencer, un mot, une phrase, une idée. Rester les yeux dans le vague, reprendre le livre du moment, chercher comment il elle s’y prend, qui parle, quel temps, quelle ponctuation. Construire des phrases dans sa tête, amorcer comme à la pêche, ça va mordre.
Ça ne mord pas, s’installer au bureau, c.-à-d. devant l’ordinateur, écrire une première phrase, n’importe laquelle, chercher si cela n’a pas déjà été dit comme ça « le rouge du sang des règles », chercher la concentration, la densité. Je rêve parfois d’un lieu isolé, silencieux, perdu au fond des bois où j’écrirais. Ça ne marche pas comme ça. Même mon besoin de silence n’est pas absolu. Les bruits ambiants ne me gênent pas. Ce qui me gênerait c’est la musique que j’aurais choisie, celle des autres n’a pas d’importance.
C’est lent, lourd, je fais plusieurs versions, je fais relire, je laisse poser. Rien à voir avec les phases d’écriture impulsive et facile. C’est vide, c’est plat. Je m’ennuie de ce que j’écris. Ou la page reste blanche. Un vrai travail d’aligner les mots.
Y penser constamment, s’endormir avec, en rêver, douter, se dire qu’il vaut mieux abandonner, pas la bonne idée, pas le bon chemin, rien à dire là-dessus. Ne pas oser revenir au fichier, ne pas avoir le courage non plus de partir à nouveau de rien.
Se coltiner au texte, peiner, douter, ne rien écrire, avoir besoin d’un travail physique plus dur que la marche, qui vide la tête et le corps, où on oublie de réfléchir, où l’on s’épuise. Taper dans le dur. L’épuisement, la tête vide a fait sortir quelque chose, hésiter à l’écrire de peur d’être déçue, trimbaler ce mal-être tout au long du jour, des jours comme quelque chose qui resterait sur l’estomac, comprendre ceux qui n’y arrivent pas, ceux qui doutent, sentiment d’échec.
Lire ou ne pas lire alors, se mettre la musique des mots d’un(e) autre dans la tête, suivre son rythme, entrer dans sa danse, mauvaise idée généralement qui se termine en déception de ne pas y arriver, d’être à cent lieux de lui ou d’elle, essayer des trucs simples : alterner phrase longue et courtes, changer de temps, passer du je au elle, invectiver, apostropher. Les mots me parlent rarement, les adjectifs jamais, je veux des verbes, du rythme au service d’une idée, d’un propos de quelque chose à dire. De l’énergie qui porte, emporte, quelque chose qui jaillit et non s’écoule tiède et fade.
Jeter des pans entiers du premier jet, laisser poser, revenir, rajouter, enlever, traquer les redites et puis se dire que c’est fini, qu’on n’ira pas plus loin, ni mieux. Correcteur d’orthographe, mise en page et envoyer.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

8 commentaires à propos de “transversales #05 | protocole pour quand ça ne vient pas”

  1. « Se coltiner au texte, peiner, douter, ne rien écrire, avoir besoin d’un travail physique plus dur que la marche, qui vide la tête et le corps, où on oublie de réfléchir, où l’on s’épuise. Taper dans le dur. L’épuisement, la tête vide a fait sortir quelque chose, hésiter à l’écrire de peur d’être déçue, trimbaler ce mal-être tout au long du jour, des jours comme quelque chose qui resterait sur l’estomac, comprendre ceux qui n’y arrivent pas, ceux qui doutent, sentiment d’échec ». J’aime les gens qui doutent et j’aime ce texte.

  2. Tous ces doutes que nous partageons mis en mots. Où l’on se rend compte qu’on partage tant de questions, du seuil du renoncement à ces quelques gouttes de sueur qui se transforment en mots, en phrases, en textes. En écrits.

    • Oui, c’est étonnant la dimension intime de ces textes, les ressemblances et les différences. C’est ce que j’aime dans cette pratique collective qui relie les membres du groupe.

  3. « Chercher la densité » et bien sûr les doutes, tout le temps, en partage. Pour dépasser ces doutes, rien de mieux que les Ateliers du TL !
    Merci Danièle.

  4. Merci Danièle pour ce texte où le rythme des verbes à l’infinitif rend le labeur de l’auteur tellement perceptible ! Et merci pour ce joli :  » la tête vide a fait sortir quelque chose »