transversales #02 4, 3, 2, 1 | lacunaires

14/02 4
Ce sont des affleurements, des mouvements, des lueurs, leurs couleurs. Un remuement. une courbure. Ce sont les phénomènes avant les choses. C’est l’impression avant la chose.

C’est un petit miroir, avec un cadre en plastique et un dos cartonné, il projette ses lumières. On croise deux casquettes russes qui ne sont pas portées sur une tête mais emportées de cartons en cartons de déménagements. On sent la rouille des épaves; on prend des décharges en 220 volt… Il y a un dictionnaire avec des pages roses et un grand magasin à étages dans une ville qui donne sur l’océan.

13/02 3 :
Ils sont trois. Trois apprentis pianistes avec un Steinway ou un Bösendorfer qu’importe. Ils sont trois comme trois possibilités. C’est dans une académie de musique  à Vienne ou bien Salzbourg qu’importe et le piano restera invisible. Il y a Mozart, Bach, Beethoven, Schubert, Stravinski, Chostakovitch même la musique dodécaphonique.  Il y a l’émotion et la justesse, la beauté et la mort. Une voix avec un accent qui roule les R, celle du grand professeur. Il y a aussi Moscou, un concours, des prix. Ce sont trois personnages sur une scène. Trois comme trois possibilités d’être interprètes. Trois comme dix doigts ou comme une variation dans le souvenir d’un livre. Ils sont trois comme cette question: derrière une porte se trouve une fresque à la beauté inoubliable si tu ouvres la porte elle s’efface , si tu ne l’ouvres pas personne ne la voit … Que fais-tu? Ils sont trois amis et quand ils jouent chacun son tour sur l’invisible piano: ils dansent. Leurs doigts passés au plâtre mort essaiment une poudre blanche, quand ils jouent il semble qu’ils neigent…

C’est une femme qui interroge un homme.  Entre eux elle a posé un magnétophone avec cassette (ces bandes brunâtres qui s’emmêlaient et vous perdiez les mots). L’homme raconte. C’est à Neauphle ou Trouville, ailleurs encore; à Calcutta peut être. C’est l’histoire d’une passion. On voit un homme au bord de l’eau, un homme et son reflet.  C’est le vice consul dit-on;  on entend le cri des corbeaux, comme étouffé…  C’est un homme qui raconte. Derrière le visage de l’homme qui raconte dans la lumière ambrée d’une chambre il y a l’impression bleue du soir.

11/02 2 :
C’est un mur de briques derrière une fenêtre dans une ville d’Amérique. Ce sont des hommes en noir avec des manchons (ce n’est pas certain il faudrait vérifier). Des hommes derrière des pupitres. C’est l’un d’eux. C’est lui qui ne dit pas non — ni oui. Qui Reste là. Et s’abstient. Et mange un biscuit.

C’est quelqu’un qui court. Qui n’arrête pas de courir. Comme un rasoir. Langsam ! Ouvert. C’est une histoire pleine de trous avec le bruit d’un tambour. Ce sont des morceaux épars qui sont l’histoire de quelqu’un et qui sont les éclats d’un monde.  Des morceaux qui ont un ordre. Et pas. C’est un homme qui court et qui ne peut pas s’échapper. Il y a aussi la lune et un couteau. Un meurtre sous les yeux d’un idiot. Petit cheval piaffe sous la lune et la grand-mère raconte quelque chose de pourri.

C’est une femme qui porte une robe empire. C’est une veuve. Quelque chose lui arrive. Et de compter les jours. De recompter les jours. De voir pointer sous la robe empire, son ventre. Sans qu’elle sache. C’est une femme qu’on rejette parce qu’elle aurait commis l’impensable. Et de se cacher aux yeux du monde. C’est un homme. Un comte. Il arrive à cette femme. Un homme qui veut se faire aimer. Ce serait l’ histoire d’une réparation qui deviendrait une histoire d’amour… une histoire de chute et de rédemption. C’est aussi l’histoire d’un évanouissement et d’un viol.

C’est le bruit des planches que l’on cloue. C’est quelqu’un qui entend le bruit et qui n’est pas tout à fait morte.

C’est un vitrier qui chute dans un escalier avec merveilleux nuages, une chimèreet un chien.

08/02 1:
C’est une femme elle crie ; elle est devenue vieille à force de crier. C’est une femme dans un corridor, puis dans une chambre close, elle crie, elle invoque la mort d’un père. Celle d’un frère; elle l’attend. C’est dans une maison une femme dans une lignée  de guerre et de meurtre. Elle crie. Elle n’a que son cri. Son cri lève le bras d’un frère et le sang répond au sang.

C’est quelqu’un au long d’une voie ferrée disparue — où l’on apprend que l’écartement des lignes de fer est à la mesure de celui des voies romaines.  C’est une quête au long d’un chemin qui s’enfouit dans la terre. C’est une recherche systématique, une archéologie qui se creuse en poème. Et passe un vieux danseur japonais … ce sont revenances et rhizomes, vies racinaires.  

C’est un enfant il court masqué. C’est le masque de papier d’un enfant qui serpente à travers champ. C’est ce mouvement d’un enfant masqué qui entre dans le champ de vision d’un homme. C’est un mouvement qui se suspend. C’est un masque et un visage qui se prennent. C’est à la toute fin d’une trilogie la rencontre d’un fils et d’un père.

C’est une barque. Ce sont deux enfants au fil de l’eau dans cette barque. C’est la nuit en lueurs; comme des pierreries noires et blanches. C’est un cauchemar et une rêverie. C’est un cavalier noir qui siffle au long d’un rivage.

C’est un coquetier peint qui perd ses couleurs. C’est un objet qui porte des silences. Ou c’est l’objet d’une absence.

C’est un paon, une grosse tête de bébé et un moulage de dents.

C’est un gâteau d’anniversaire et la mort d’un enfant.

C’est la statue de la liberté qui tient un glaive et ce sont de faux anges juchés sur une plate forme.

Ce sont des noms. C’est Ismaël ( mettons) ou Blanche Morgenstern.

C’est un taupier qui passe. C’est une jeune fille pendue à un poirier et ses jambes sont fléchies.

ne restent que des lambeaux; c'est de toi dont j'aurais dû me souvenir à trois heures ce matin. Toi de Lui. Toi dans le couloir gris de cette maison où l'on t'a fait entrer après qu'il soit sorti de toi 

C’est une tache blanche à travers les arbres. Loin. Une épave qui s’enflamme. Ce sont des rebuts en bord d’une route. Des traversées. C’est une femme qui n’allume qu’à heures fixes et demeure dans la nuit si l’heure n’est pas venue. Ce sont des yeux blonds; blonds comme les cheveux qui volent autour d’une bouche à baiser. C’est une mort ( à peine le temps d’aimer). C’est un essaim d’abeilles qui pend à l’arbre, jusqu’au dégout . C’est une langue qui chante. C’est un homme qui est une mémoire sans souvenirs.

C’est une vie empaillée dans un perroquet.

C’est un mur de brique derrière une fenêtre dans une ville d’Amérique. Ce sont des hommes en noir avec des manchons (ce n’est pas certain il faudrait vérifier). Des hommes devant des lutrins. Il y a des dossiers. Ce sont des clercs. C’est l’un d’eux. C’est lui qui ne dit pas tout a fait non — ni oui. Qui Reste. Et s’abstient.

C’est quelqu’un qui court. Qui n’arrête pas de courir. Comme un rasoir ouvert. Langsam ! Langsam !  C’est une histoire pleine de trous avec le bruit d’un tambour. Ce sont des morceaux épars qui sont l’histoire de quelqu’un et qui sont les éclats d’un monde.  Des morceaux qui ont un ordre. Et pas. C’est un homme qui court et qui ne peut pas s’échapper. Il y a aussi la lune et un couteau. Un meurtre sous la lune sous les yeux d’un idiot. Petit cheval piaffe sous la lune. Et la grand-mère raconte quelque chose de pourri.

C’est une femme qui porte une robe empire. C’est une veuve. Quelque chose lui est arrivé. Et de compter les jours. De recompter les jours. De voir grossir. De voir pointer sous la robe empire, son ventre. Sans qu’elle sache. C’est une femme qu’on rejette parce qu’elle aura commis l’impensable. Et de se cacher aux yeux du monde. C’est un homme. Un comte. Il arrive à cette femme. Un homme qui veut se faire aimer. Ce serait une histoire de réparation qui deviendrait une histoire d’amour… une histoire de chute et de rédemption.

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

18 commentaires à propos de “transversales #02 4, 3, 2, 1 | lacunaires”

  1. Palpables déjà dans ces « Lacunaires » des mondes sensibles qui se profilent. La force des « C’est »…

  2. Quelles superbes descriptions, Nathalie ! Et cette « vie empaillée dans un perroquet » !

  3. (« ce sont revenances et rhizomes, vies racinaires.  » j’adore – capillaires est bien aussi) (et puis une amie Christine Jeanney, son livre sort « la nuit de Rachel Cooper ») – que de voyages…- merci à toi

    • …revenances et rhizomes, vies racinaires… ces mots là appartiennent à l’auteur . Merci pour le livre indiqué et aussi d’être passé lire

  4. C’est quelqu’un au long d’une voie ferrée disparue — où l’on apprend que l’écartement des lignes de fer est à la mesure de celui des voies romaines. C’est une quête au long d’un chemin qui s’enfouit dans la terre. C’est une recherche systématique, une archéologie qui se creuse en poème. Et passe un vieux danseur japonais … ce sont revenances et rhizomes, vies racinaires.

    Je connais…plaisir de retrouver ces lignes ici !

  5. Oh ! Il me semble que je sens du Sivadier. Superbe quoique un peu long sur la fin, j’ai trouvé.
    Fan.e de Sivadier ?

    • Gagné Bernard. Énormément aimé le spectacle ( j’avais peur à cause du livre que j’avais tant aimé) Sivadier souvent, beaucoup, pas toujours…

  6. Étonnant et fascinant. Merci pour le voyage.

    Et cette étrange nature morte : « C’est un paon, une grosse tête de bébé et un moulage de dents »